Plus de 320 millions de personnes parlent le français, ce qui en fait la 5ème langue la plus parlée au monde. Mais des défis émergent et mettent à l’épreuve la Francophonie partout dans le monde. A l’heure où le 19ème Sommet de la Francophonie réunit plus de 80 Etats en France, voici ce qu’il se joue pour les Francophones…
“Il faut faire confiance à une langue. C’est parce qu’on la triture, qu'on la tord, qu’elle reste une belle langue.” nous confiait Paul Rondin, directeur de la Cité internationale de la langue française début septembre 2024. Une langue vivante donc qui est la 5ème la plus parlée au monde, après l’anglais, le chinois, l’hindi et l’espagnol. Pourtant la Francophonie n’est pas un (long) fleuve tranquille et navigue en eaux troubles… Pratique, appartenance, culture, scène internationale, enseignement… Quels sont ses enjeux en 2024 ?
En 2021, la Cour européenne des droits de l’Homme annonce abandonner les traductions de ses communiqués de presse en français
La place de la Francophonie sur la scène internationale
La langue française semble malmenée dans certains organismes européens ou internationaux. En 2021 par exemple, la Cour européenne des droits de l’Homme - dont la première langue officielle est le français selon le règlement - annonce abandonner les traductions de ses communiqués de presse en français. Coup dur, sur le dos d’un manque de budget… L’organisation n’est pas la seule puisque seulement 3,7 % (à la Commission européenne) et 12 % (au Parlement européen) des documents produits ont pour langue-source le français. Une proportion qui atteignait 34% en 1999.
Un autre constat, observé par l’OIF en 2022 au sein des organisations internationales est “la dérive dans les pratiques linguistiques vers le non-respect du multilinguisme” et au détriment de la langue française. Pour le dire autrement, l’anglais prend de la place…A l’ONU par exemple, 98,7% des offres d’emploi exigent la connaissance de la langue anglophone. Mais que faire ? L’OIF a décidé d’activer un « dispositif de veille, d’alerte et d’action en faveur de la langue française et du multilinguisme dans les organisations internationales » qui comprend - entre autres - des plaidoyers politiques, des formations, des mises à disposition d’outils et ressources. Bonne nouvelle, la langue française était sur toutes les lèvres lors des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024, son statut de langue officielle selon la charte Olympique n’a pas été contestée, ce serait un comble…
L'événement doit donner au monde la preuve d’une union solide et indispensable, malgré une Histoire délicate où la langue française s’est souvent imposée comme outil de colonisation
La présence de la Francophonie sur la scène internationale passe aussi par le principe d’unité politique, affiché notamment lors du Sommet de la Francophonie, organisé tous les deux ans. 85 chefs d’Etat et gouvernements sont conviés au 19ème Sommet à Paris les 4 et 5 octobre 2024 (3 sont suspendus) pour “définir les orientations de la Francophonie dans un Cadre stratégique, de manière à assurer son rayonnement dans le monde”. L'événement doit donner au monde la preuve d’une union solide et indispensable, malgré une Histoire délicate où la langue française s’est souvent imposée comme outil de colonisation.
Pourquoi le 19ème Sommet de la Francophonie est-il très important pour la France ?
Le Mali, le Burkina Faso et et le Niger ont été suspendus de l’OIF et ne participent pas au Sommet de la Francophonie
Pouvoir garantir la paix et la démocratie dans l’espace francophone
“La Francophonie se donne pour objectif de contribuer à faire de l’espace francophone une zone de paix et de stabilité, œuvrant à la prévention des conflits, à la consolidation de la démocratie et à la protection des droits humains”. L’OIF veille à ce que les 88 Etats et gouvernements membres suivent quatre grands axes : la consolidation de l’Etat de droit, la tenue d’élections libre fiables et transparentes, l’instauration d’une vie politique apaisée, la promotion d’une culture démocratique et le plein respect des droits de l’Homme. Mais cela suffit-il ?
La sentence tombe si les les pays membres ne respectent pas ces principes, à l’instar du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Ils ont été suspendus de l’OIF et ne participent pas au Sommet de la Francophonie. Le 24 septembre 2024, la Guinée réintègre l’OIF après 3 ans de suspension en raison de coup d’Etat militaire : “ Bien qu’ayant relevé la nécessité pour la Guinée de poursuivre ses efforts sur le volet des droits et des libertés, le CPF a décidé d’exprimer sa solidarité avec ce pays membre” précise l’OIF. “Je peux leur assurer que la Guinée ne décevra pas. La Guinée ne décevra aucun de ses partenaires” répond Morrissanda Kouyaté, ministre des Affaires étrangères de la Guinée sur RFI.
“Le Liban est un pilier de la Francophonie dans cette région du monde”
Dans sa volonté de garantir la paix et le respect des droits de l’Homme, L’OIF a pris la parole le 27 septembre 2024, exprimant “sa solidarité de la famille francophone avec le peuple libanais dans cette nouvelle épreuve qu’il traverse. (...) La secrétaire générale de la Francophonie, Louise Mushikiwabo, est extrêmement préoccupée par l’escalade de la violence de part et d'autre de la Ligne bleue et déplore les pertes de vies innocentes au Liban ces derniers jours” indique le communiqué. “Le Liban est un pilier de la Francophonie dans cette région du monde”, ajoute le communiqué de l'OIF. Mais, au-delà d’appeler “au respect du droit international” et “œuvrer en faveur de la désescalade”, l’organisation n’a aujourd’hui pas vocation à intervenir de quelconque manière.
Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, annonce mi 2023 que les établissements privés ne pourront plus enseigner le double cursus français-arabe
La pratique de la langue française n’est pas en recul mais…
“La langue française est-elle menacée en 2024 ?” demandent les médias lors d’une conférence de presse de l’Organisation Internationale de la Francophonie le 17 septembre 2024. Si l’OIF se défend “la langue française n’est pas en guerre contre les autres langues”, son apprentissage et sa pratique sont constamment mis à l’épreuve. Premier exemple, en Algérie, où le président algérien, Abdelmadjid Tebboune annonce mi 2023 que les établissements privés ne pourront plus enseigner le double cursus français-arabe en raison de l’application de la loi qui prévoit “l’enseignement en arabe uniquement”. Dans un pays où près de 15 millions de Francophones résident, et 600 écoles privées enseignaient la langue, la décision n’est pas sans conséquences.
Certains pays constatent une légère baisse des Francophones. C’est le cas du Canada où le français - 2ème langue officielle - est rattrapé par la pratique d’autres langues d’immigration. Le pourcentage de Francophones a baissé de 22,2% en 2016 à 21,4% en 2021. Si le chiffre n’est pas alarmant, une vigilance s’impose. Rassurons nous, selon le rapport 2022 de l’OIF, le nombre de personnes parlant français dans le monde pourrait atteindre 572 millions en 2030 et dépasser le milliard d’ici 2065.
Le français n’est présent qu’à 3,5% sur la toile contre 25% pour l’anglais, 15% pour le chinois et 7% pour l’espagnol
L’enjeu de la pratique de la langue française passe aussi par… le numérique. 4ème langue la plus parlée sur Internet, et malgré la grande diversité des contenus francophones sur la toile - dont le média lepetitjournal.com présent dans 76 villes du monde , le français n’est présent qu’à 3,5% sur la toile (indicateurs trafic, nombre de pages, interfaces, usage, internautes confondus) contre 25% pour l’anglais, 15% pour le chinois et 7% pour l’espagnol… Plusieurs raisons expliquent ce recul relatif : l’ascension spectaculaire de l’hindi, l’avancée de langues comme le russe ou l’arabe, les taux de connexion à internet des Francophones des pays industrialisés à quasi saturation (85% en moyenne) et la fracture numérique des pays francophones africains lente à se résorber. Que faire ? Des initiatives sont prises depuis 2020, comme la création de TV5MONDEplus et le Fonds Image de la Francophonie. Une stratégie de la Francophonie numérique 2022-2026 est adoptée par la Francophonie en décembre 2021. Enfin, la notion de découvrabilité - capacité à être repéré(e) parmi un vaste ensemble d'autres contenus - est mise sur la table des membres de l’OIF.
Yan Chantrel, Sénateur : "certains pays rencontrent une pénurie de professeurs de français, ce qui n’est pas normal, les conditions doivent être améliorées”
L’enseignement de la langue française inégal dans le monde
La pratique est-elle liée à un défi d’enseignement ? Selon le réseau FLAM, 2 enfants français sur 3 à l’étranger n'ont pas accès à l'enseignement du français. A défaut de le parler, ces jeunes perdent leur langue maternelle. Les associations FLAM réparties dans 35 pays, se donnent alors pour mission de “d’entretenir le langage dans un contexte où ni l’enseignement, ni la pratique ne sont possibles ou, du moins, encouragés” avec des activités, des enseignements et des évènements. En Europe, le constat est sans appel, l’apprentissage de la langue française recule en Europe (-9,8% entre 2018 et 2022), certaines politiques éducatives ne s’ouvrant pas assez à la diversité linguistique.
En 2024, l’OIF annonce 144 millions d’apprenants du ou en français. Mais, Yan Chantrel, Sénateur des Français de l’étranger et rapporteur d’un rapport sur l’état de la Francophonie, “certains pays rencontrent une pénurie de professeurs de français, ce qui n’est pas normal, les conditions doivent être améliorées”. L’élu préconise de renforcer les politiques éducatives de l’ensemble des pays membres de la Francophonie.
Le français est apprécié par au moins 67% des Francophones pour sa capacité à obtenir un travail ou faire des études.
Le sentiment d’appartenance :“est-ce que j’ai un intérêt à être francophone ?”
Appartenir à une communauté immensément plus grande que son propre pays fait partie des débats autour de la Francophonie : “Est-ce que j’ai intérêt à être francophone ?” “Que m’apporte la pratique de la langue française ou le fait de vivre dans un pays francophone ?” “qu’apporte le statut de francophone dans ma recherche de travail, dans la création de mon entreprise, dans mon quotidien, dans mes déplacements ?”.
Pour Yan Chantrel, le sentiment d’appartenance est un défi à prendre en compte absolument en 2024 : “il faut donner envie d’apprendre le français et montrer que parler la langue apporte des débouchés professionnels.” Dans le rapport de l’OIF en 2022, le français était apprécié par au moins 67% des Francophones pour sa capacité à obtenir un travail ou faire des études. En ce sens, un Erasmus Francophone est annoncé lors du Sommet de la Francophonie les 4 et 5 octobre 2024.
Yan Chantrel, Sénateur : ”Un Erasmus francophone va être mis en place
40 choix Goncourt Internationaux existent dans le monde. Chacun est choisi par un jury d’étudiants ou de lycéens Francophones
La Francophonie doit aussi s’appuyer sur la culture
Parmi les vecteurs d’attractivité de la langue française, il y a bien sûr…la culture. Parmi le cinéma, la musique ou l’art et, pour reprendre les mots du rapport OIF 2022, “l’un des terreaux privilégiés d’épanouissement de la diversité culturelle francophone est la littérature”. Impossible de donner un chiffre exact sur la circulation et l’impression d’ouvrages mais on estime à un peu moins de 5% la part du livre en langue française dans le monde en 2021. L’enjeu est grand puisqu’il faut agir sur l’ensemble de la chaîne du livre - les métiers de sa conception à sa vente, tous interdépendants - . Pas simple mais de belles initiatives sont mises en place.
En pleine rentrée littéraire 2024 , deux acteurs incontournables nous parlent de leurs actions en faveur du livre à l’international : l’Académie Goncourt et l’Institut français. Tous deux se donnent pour mission de défendre à la fois la culture française mais aussi la diversité culturelle. C’est pourquoi, 40 choix Goncourt Internationaux existent dans le monde. Chacun est choisi par un jury d’étudiants ou de lycéens Francophones : “Ce n’est pas seulement une sélection de livres, c’est aussi un débat d’idées, des échanges entre cultures, parfois dans des pays où il est difficile de s’exprimer” explique Philippe Claudel, président de l’Académie Goncourt. “Le choix Goncourt a un retentissement international, valorise notre langue et donne parfois l’impulsion de la circulation et de la traduction d’une œuvre francophone” explique Eva Nguyen Binh, présidente de l’Institut français. Au total, plus de 8.000 jeunes Francophones ont participé aux Choix Goncourt internationaux depuis 21 ans : “nous sommes parfois surpris par la qualité de la langue, l’argumentation et la passion de ces jeunes” sourit Philippe Claudel. Car oui, stimuler la jeunesse et faire entrer le livre dans leur vie est primordial pour l’avenir de la Francophonie.