Yan Chantrel, Sénateur représentant les Français établis hors de France, est aussi rapporteur d’un rapport sur l’état de la Francophonie, à l’heure où la France accueille le 19ème Sommet de la Francophonie. Lors d’un entretien avec lepetitjournal.com, le Sénateur revient aussi sur le nouveau gouvernement, la visite officielle au Canada, ses priorités et les enjeux majeurs qui attendent les Français de l’étranger.
Nous combattrons résolument ce gouvernement conservateur et réactionnaire
L'actualité récente nous amène à parler du nouveau gouvernement. Quel a été votre réaction face à la nomination de celui-ci ?
Nous, parlementaires de gauche, avons été profondément choqués par ce que nous considérons comme un déni démocratique manifeste de la part du Président Emmanuel Macron, qui est responsable de la nomination du Premier ministre et de la formation du gouvernement. Dans toute démocratie, il revient à la première force à l’assemblée de former un gouvernement. Si elle échoue, cette tâche revient à la deuxième force, et ainsi de suite. Or, ici, ce n'est pas ce qui s'est produit. Le Président a choisi un Premier ministre issu du cinquième groupe de l'Assemblée nationale, un groupe de 47 parlementaires sur 577. Cela constitue un refus de reconnaître le vote des Français, exprimé lors des législatives de juillet.
En outre, ce choix place le gouvernement sous l'influence directe de l'extrême droite, qui, de facto, détient le pouvoir de faire ou défaire ce gouvernement. Cela va à l'encontre du vote exprimé au second tour, où les Français ont clairement exprimé qu'ils ne souhaitaient pas voir l'extrême droite gouverner. Le "front républicain", auquel une large partie des troupes d'Emmanuel Macron doit son élection, a été rapidement oublié. C'est une trahison du pacte républicain, et cela alimente un profond désenchantement démocratique. Ce sentiment est d'autant plus fort que nos compatriotes se sont massivement mobilisés lors de ces élections, avec une participation plus élevée que lors des précédentes législatives. Les citoyens, quand nous les rencontrons, expriment souvent leur frustration : "À quoi bon voter, si nous ne sommes pas entendus ?"
Nous combattrons résolument ce gouvernement conservateur et réactionnaire. Cette tendance s’observe notamment avec la nomination de Monsieur Retailleau au ministère de l'Intérieur, aux positions rétrogrades sur les questions sociétales. Nous nous inscrivons donc dans une opposition claire et résolue. Cela ne nous empêchera pas de faire des propositions et de défendre des textes au Parlement face à un gouvernement qui, selon nous, a une durée de vie limitée.
Que pensez-vous de la nomination de Sophie Primas comme ministre déléguée des Français de l'étranger ?
Sophie Primas est une personne pour qui les questions des Français de l'étranger ne sont pas des sujets familiers. Toutefois en tant qu'ancienne Sénatrice, elle sera probablement attentive à maintenir un lien avec les élus, que ce soit avec les conseillers des Français de l'étranger que les parlementaires. J’ai d’ailleurs sollicité une rencontre avec elle dans les plus brefs délais pour discuter de ces questions, car notre rôle est de représenter nos concitoyens expatriés et de porter les sujets qui les concernent : l’éducation, la santé et le service public consulaire.
Nous nous battrons pour permettre des augmentations budgétaires pour revaloriser les bourses scolaires, renforcer le financement de la CFE et accroître les effectifs dans nos consulats
Ce sont trois enjeux majeurs. Elle sera rapidement sous pression, notamment avec l’arrivée imminente du budget, un moment crucial pour les Français de l'étranger. L'éducation, la santé et les services publics sont directement liés à la politique budgétaire, et les budgets actuels sont déjà insuffisants. Il est donc impératif qu’il n’y ait pas de coupures ou de diminutions de budget.
Nous nous battrons pour permettre des augmentations budgétaires. Nous soutiendrons toute initiative visant à revaloriser les bourses scolaires, à renforcer le financement de la Caisse des Français de l'étranger (CFE) et à accroître les effectifs dans nos consulats afin d’assurer un service public de qualité, avec un véritable contact humain pour nos compatriotes à l’étranger.
Sophie Primas, nouvelle ministre du Commerce extérieur et des Français de l’étranger
Nous ne sommes pas contre les accords commerciaux internationaux, mais ils doivent être équitables, durables.
Lors de la visite d’Emmanuel Macron au Canada, des partenariats ont été annoncés autour de la défense, de l'océan… Pouvez-vous nous en parler ?
Le partenariat entre la France et le Canada est très vaste, et c’est une bonne chose. Ce sont deux pays qui partagent beaucoup, à commencer par la langue, même si le Canada est un pays bilingue, avec le français et l'anglais. Le français y joue un rôle central, particulièrement au Québec, où sa défense est primordiale. Il y a également des communautés francophones dans d'autres provinces, et je pense que la France a un rôle à jouer pour renforcer l'usage et la promotion de la langue française. Le Canada, et surtout le Québec, mettent en place de nombreuses initiatives en faveur du rayonnement international du Français. D’ailleurs, la France pourrait s’en inspirer car leur engagement pour la langue française est parfois plus fort que celui de notre propre gouvernement.
Concernant les partenariats, au Sénat, nous avons voté massivement contre l'accord du CETA. Il est important que le Président - qui semble continuer à soutenir cet accord - , prenne en compte les objections des parlementaires. Cet accord présente des contradictions, notamment en matière de protection de l'environnement. D'un côté, le Président parle de préserver l’environnement, mais de l’autre, il signe un accord qui favorise l’exportation de ressources polluantes comme les sables bitumineux et le gaz de schiste. C’est incohérent de prôner la protection de la planète tout en soutenant des accords qui l'endommagent. Nous ne sommes pas contre les accords commerciaux internationaux, mais ils doivent être équitables, durables, et s'inscrire dans une logique de lutte contre le réchauffement climatique.
France et Canada renforcent leur coopération en matière de défense et de sécurité
Les français de l’étranger sont encore plus exposés aux problèmes climatiques que les français de l’hexagone. Y a-t-il des projets pour mieux protéger les français de l’étranger ?
Il est essentiel de mettre en place des politiques adaptées, et celles-ci doivent se mener à l’échelle internationale. Nos compatriotes établis à l’étranger, surtout dans des pays moins favorisés économiquement, sont souvent les premiers touchés par les effets du réchauffement climatique. Les populations les plus démunies, sans les moyens de se protéger, sont les premières victimes. C’est pourquoi nous devons adopter une politique d’entraide et de solidarité internationale pour venir en aide aux pays déjà durement frappés par ces changements climatiques.
Il est crucial de viser une autre forme de croissance, une “alter-croissance” .
Nos compatriotes sont très impliqués dans des associations militantes, mais des actions fortes au niveau international sont nécessaires. Les pays occidentaux ont une grande part de responsabilité, car nous polluons davantage. C’est pour cela que de nombreux pays émergents plaident pour un système d’aide basé sur l’empreinte carbone : plus un pays pollue, plus il contribue à financer l’aide internationale à travers des politiques de résilience dans les régions les plus affectées. Ce principe de pollueur-payeur est fondamental pour repenser notre modèle de société. Il est crucial de viser une autre forme de croissance, une “alter-croissance” .
Mais, même si un pays comme le nôtre devenait exemplaire et n’émettait plus de carbone, cela ne résoudrait pas à lui seul le problème du réchauffement climatique. La solution doit être internationale, avec des règles contraignantes pour les États. Les conférences COP, comme la COP 21, ont été des moments importants, avec des engagements pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Cependant, ces accords reposent souvent sur des bonnes intentions, sans aucune modalité de sanctions en cas de non-respect.
Un aspect souvent méconnu des bénévoles est l'existence du compte d'engagement citoyen, un dispositif similaire au compte personnel de formation (CPF)
Pouvez-vous nous parler de la proposition de loi visant à soutenir l’engagement bénévole et à simplifier la vie associative, et comment pourrait évoluer cette proposition ?
Cette proposition de loi a été adoptée à l'Assemblée nationale et au Sénat en avril 2024. L'objectif principal était de faciliter l'engagement citoyen, avec près de 13 millions de bénévoles à travers le pays.
Un aspect souvent méconnu des bénévoles est l'existence du compte d'engagement citoyen, un dispositif similaire au compte personnel de formation (CPF). Ce compte permet de reconnaître et valoriser l'engagement associatif. Nous avons également assoupli les règles concernant les congés pour les engagements associatifs, qui restent peu connus. Désormais, il sera plus facile pour les salariés d’en bénéficier. Une autre nouveauté introduite est le don de congés : les salariés qui ne les utilisent pas peuvent en faire don à une association. L'entreprise, à son tour, peut transformer ces congés en dons numéraires au profit de l'association choisie par le salarié.
Enfin, le mécénat de compétences a été élargi. Auparavant réservé aux entreprises de plus de 5.000 salariés, il est désormais accessible à toutes les entreprises, leur permettant de mettre gratuitement à disposition du personnel pour des missions au sein d’associations pour une certaine durée. Bien sûr, la question du budget reste cruciale. Le financement des associations sera débattu lors du prochain projet de loi de finances.
Les dispositifs STAFE (soutien au tissu associatif des Français à l’étranger) font partie des discussions ?
Les dispositifs STAFE ne sont pas dans ce budget là, mais il y a leur équivalent pour les territoires oui : Il s'appelle FDVA, Fonds pour le Développement de la Vie Associative. Mais je reste très vigilant sur les enveloppes pour le STAFE.
STAFE 2025 : Les dossiers à retirer avant le 18 octobre 2024
Autre préoccupation, la CSG-CRDS ; les Français de l’étranger, hors UE, continuent de payer cette cotisation sociale sur leurs revenus fonciers et plus-values immobilières de source française...
Quels sont, selon vous, les enjeux sociaux les plus pressants pour les Français de l'étranger, et comment envisagez-vous de les aborder dans les deux années à venir ?
Le vieillissement de la population est un enjeu majeur, tant pour la France que pour nos compatriotes vivant à l'étranger. Il pose de nombreux défis, notamment en matière d'autonomie et de prise en charge, surtout dans un contexte où la pandémie a considérablement augmenté les coûts des soins médicaux et des médicaments dans de nombreux pays.
Actuellement, la CFE, bien qu'elle ait une mission de service public, est une structure privée et reste trop coûteuse pour une grande partie de nos compatriotes. Elle ne peut remplir pleinement cette mission car l'État ne finance pas suffisamment cette caisse. Il la sous-finance même. La part de l’Etat ne représente même pas 0,1% du budget de la CFE. Pour que cette caisse puisse réellement jouer son rôle, il faut que l'État augmente significativement son financement, afin de la rendre plus accessible aux Français de l'étranger. Ces derniers continuent bien sûr à contribuer, mais avec des coûts plus abordables et une meilleure couverture sociale, adaptée aux pays dans lesquels ils résident.
Autre préoccupation, la CSG-CRDS ; les Français de l’étranger, lorsqu’ils ne vivent pas au sein de l’UE, continuent de payer cette cotisation sociale sur leurs revenus fonciers et plus-values immobilières de source française. Bien que nous ayons toujours voté au Sénat pour la suppression de cette contribution, le gouvernement et ses affidés à l'assemblée s’y sont toujours opposés. A défaut de sa suppression, j’ai déposé des amendements et ajustements au budget pour que cette contribution finance la CFE, rendant ainsi cette contribution plus acceptable pour nos compatriotes. Ce débat sera poursuivi, et la CFE travaille actuellement avec un groupe de réflexion transpartisan pour proposer des solutions. Nous suivrons ce dossier de près.
Je défends la mise en place d’un Erasmus francophone. Je suis heureux de vous annoncer que sa mise en oeuvre sera annoncée lors du Sommet de la Francophonie.
Le sommet de la francophonie, qui va être au cœur de l'actualité début octobre 2024. Vous êtes rapporteur d'un rapport que vous présentez le 2 octobre. Est-ce qu'on peut avoir un petit peu des premières informations ?
Présenté en commission officiellement le 2 octobre, il est ensuite publié et remis au nouveau ministre de la francophonie, Thani Mohamed Soilihi, pour qu'il puisse mettre en application certaines mesures.
La philosophie générale est d'essayer de créer un sentiment d'appartenance à un espace francophone, ce qui n'est pas forcément le cas au sein de la population. Comment pouvoir se dire “j’appartiens à un espace plus vaste que mon pays ?” Ma réponse, en renforçant un sentiment d’appartenance, en facilitant les échanges ou encore en mettant en place des visas, spécifiques pour les francophones. Je défends, depuis mon élection, la mise en place d’un Erasmus francophone. Je suis heureux de vous annoncer que sa mise en oeuvre sera annoncée lors du Sommet de la Francophonie. Mentionné dans mon rapport, il va être mis en place par l'agence universitaire de la francophonie, qui gère un réseau de plus de 1.000 universités francophones…D’où l’importance de faciliter les visas. Il faut que les francophones se disent “effectivement j'ai un avantage à être francophone, à pouvoir me déplacer, à pouvoir créer mon entreprise, à pouvoir exercer mon art”.
Un autre enjeu que je défends est l’éducation et la formation en français. Pour cela, il faut revaloriser le métier d’ enseignant. Certains pays rencontrent une pénurie de professeurs de français, ce qui n’est pas normal, les conditions doivent être améliorées. Ainsi, faut renforcer les politiques éducatives et d’enseignement du français. Car il ne suffit pas de l'enseigner, il faut donner envie d'apprendre le français et montrer que le français apporte des débouchés professionnels. Le sentiment d’appartenance est vraiment la philosophie du rapport qui est rendu.
Pourquoi le 19ème Sommet de la francophonie est-il très important pour la France ?
Sur quoi on s'appuie pour faire un tel rapport ?
J'ai rencontré énormément de personnes engagées, des représentants d’organisations internationales, d'anciens parlementaires, des francophones du monde entier, des enseignants, mais aussi l’AEFE, des associations et des programmes en langue française comme l’association FLAM Monde. Au total, nous avons effectué entre 50 et 60 auditions.
Ce que je défends dans mon rapport est aussi l’importance de notre réseau d’Alliances françaises, d’Instituts français, d’établissements d’enseignement français. Nous devons mutualiser notre réseau pour qu’ils soient au service des francophones, mutualiser les budgets parfois trop serrés, essayer de trouver des combinaisons pour créer de vrais outils communs au service de la francophonie, et pas uniquement au service de la France.
Le monde est un laboratoire à ciel ouvert ou l’on peut y piocher de nouvelles pratiques politiques et économiques inspirantes pour notre pays
Avez-vous un message particulier pour nos lecteurs lepetitjournal.com ?
Où que nous soyons dans le monde, nous restons attachés à notre pays. Vos lecteurs participent au rayonnement de notre culture et ont la chance de pouvoir également continuer à s'exprimer et participer aux débats publics français à travers des représentants élus, qu’ils soient au Sénat, à l’Assemblée nationale ou auprès des instances consulaires. Je pense bien sûr aux Conseillers des Français de l’étranger qui les représentent. Tous les Français de l’étranger sont des citoyens à part entière qui continuent à avoir une parole, un droit de vote.
Je les incite également à s'engager dans des associations. L'engagement est important dans le pays d’accueil, mais aussi en lien avec la France. Ces expériences multiples que nous vivons, à travers le monde, sont une véritable richesse pour notre pays. Le monde est un laboratoire à ciel ouvert ou l’on peut y piocher de nouvelles pratiques politiques et économiques inspirantes pour notre pays. En tant qu'élu de nos compatriotes hors de France, c’est d’amener dans le débat public ces politiques innovantes pour la France.