Édition internationale

Être une femme journaliste en 2025 : entre inégalités, résilience et engagement

Informer, enquêter, dénoncer… est un engagement qui, selon les pays et les sujets abordés, peut s’avérer périlleux. Qu’il s’agisse de pressions politiques, de violences genrées ou de harcèlement en ligne, les obstacles perdurent pour les femmes journalistes. Pourtant, face aux menaces et aux tentatives d’intimidation, elles continuent d’exercer leur métier avec résilience. Être une femme journaliste en 2025, quelle bataille ?

Femme journaliste en manteau beige ecrit sur un bloc notesFemme journaliste en manteau beige ecrit sur un bloc notes
Photo de cottonbro studio
Écrit par Liz Fredon
Publié le 6 mars 2025, mis à jour le 7 mars 2025

 

 

À l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, le 8 mars, il est important de mettre en avant celles qui participent activement à la préservation de la démocratie, et sans qui les droits des femmes avanceraient encore plus difficilement : les femmes journalistes. Si leur présence dans les rédactions a progressé au fil des décennies, elles restent confrontées à des défis majeurs, à la croisée de la liberté de la presse et des inégalités de genre.

 

Même si la proportion de femmes journalistes progresse à 48,1% (contre 47,9%) en France, nous n’arrivons toujours pas à la parité, selon le « Baromètre social » des Assises du journalisme. En 2020, l’étude du GMMP (Global Media Monitoring Project) rapportait que quatre articles sur dix dans les médias traditionnels étaient publiés par des femmes dans le monde. L’accès aux postes à responsabilité sont toujours largement occupés par des hommes au sein des médias.

 

 

 

La menace de la censure à travers le monde

Dénoncer les violences et inégalités subies par les femmes à travers le monde est un combat à double tranchant pour celles qui s’y engagent. Dans certains pays, cela signifie risquer sa liberté, voire sa vie. Parmi les États les plus répressifs envers les femmes journalistes, la Russie, la Biélorussie et la Chine occupent le podium des emprisonnements.

C’est dans un contexte de répression des médias en Chine que la journaliste Sophia Huang Xueqi est condamnée, vendredi 14 juin 2024, à cinq ans de prison pour « incitation à la subversion de l’État », après 1.000 jours de détention. Depuis octobre 2017, elle enquêtait sur les conditions de travail des femmes chinoises dans les médias et les universités “afin de révéler des violences systémiques à leur égard”, d’après Reporters Sans Frontières. Son engagement lui vaut des conditions de détention alarmantes : malnutrition et privation de sommeil, selon ses proches. 

 

 

 

 

Ailleurs, Mursal Sayas, journaliste afghane, a dû fuir son pays après la reprise du pouvoir par les talibans en 2021. Contrainte à l’exil, elle continue de témoigner sur “les difficultés d’accès aux soins, les violences envers les minorités de genre et sexuelles, et le sort des femmes qui manifestent pour défendre leur droit”.

Liliana Mayorga, journaliste exerçant dans une édition partenaire de Lepetitjournal.com d’Amérique du Sud, évoque aussi les menaces qui pèsent sur les femmes journalistes dans certaines régions : “Dans mon pays d’accueil, les femmes journalistes sont exposées à des risques de violences, notamment lorsqu’elles couvrent des manifestations ou enquêtent sur des affaires sensibles comme les violences de genre.”

 

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"Pour des reportages sur la politique, la corruption ou les droits humains, il peut y avoir des menaces ou du harcèlement en ligne." - Liliana, journaliste

 

Le choix de ses sujets, un enjeu décisif

Le danger, pour une femme journaliste – et plus largement pour tout journaliste –, réside fondamentalement dans le choix de ses sujets. Un ton trop critique, mettre son nez là où il ne vaut mieux pas creuser, déranger parfois les autorités locales… peuvent faire d’elle une cible. Ces problématiques sont intrinsèquement liées à la liberté de la presse, la liberté d’expression, et bien sûr l'égalité homme/femme dans sa globalité.

Ysée*, ancienne expatriée en Asie du Sud-Est, témoigne : “J’étais pigiste et correspondante pour des médias français. J’ai aussi réalisé des enquêtes d’investigation sur place. Oui, l’expérience de journaliste est différente par rapport à la France, particulièrement dans le choix des sujets, portés par une culture qui diffère.” 

 

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"Les journalistes ne sont pas totalement libres de leur plume..." - Ysée*, journaliste

 

Si la profession semble ouverte aux femmes dans son pays d’accueil, elle observe néanmoins que la liberté de la presse y est relative : “Les journalistes ne sont pas totalement libres de leur plume : beaucoup de contenus sont des reprises de communications venant des autorités… ” Elle enchaîne : “Lorsque je suis arrivée, l’ambassade m’a rapidement contactée pour me mettre en garde sur la pratique du journalisme dans le pays. Pas en raison de mon genre, mais plutôt pour les sujets et angles choisis. La surveillance des publications est omniprésente, surtout en matière d’investigation.”

De son côté, Liliana souligne que “les risques auxquels je suis confrontée dépendent des sujets couverts. Pour des reportages sur la politique, la corruption ou les droits humains, il peut y avoir des menaces ou du harcèlement en ligne.” Elle ajoute : “En tant que femme journaliste, j’ai parfois dû faire face à des comportements sexistes, notamment dans des environnements dominés par des hommes, comme la politique ou lors de certaines enquêtes sensibles.”

 

 

Un panneau de l'exposition “Journalisme à l’ère de Metoo” de Reporters Sans Frontières
Panneau présenté lors du vernissage l'exposition “Journalisme à l’ère de Metoo” de Reporters Sans Frontières

 

 

Les journalistes femmes plus touchées par les violences genrées que leurs homologues masculins

Un chiffre qui détonne : près de 60 % des personnes sondées par Reporters Sans Frontières (67 sur 113) connaissent au moins un cas de journaliste victime de violences genrées en raison de son travail. Ces attaques prennent diverses formes : menaces de viol, insultes sexistes, ou encore deepfakes à caractère pornographique.

La journaliste française Salomé Saqué a plusieurs fois témoigné avoir été ciblée par des campagnes de harcèlement prenant de multiples formes. En tant que personnalité publique et l’une des représentantes de la résistance face à l’extrême droite, elle est ciblée par les militants politiques qu’elle expose. Dans le cadre de la création de l’exposition “Journalisme à l’ère de Metoo” de RSF, elle décrit les conséquences psychologiques de ces attaques : “Concrètement, le cyberharcèlement provoque de l'anxiété. On peut dire qu'on passe outre, qu'on ne fait pas attention, mais on l’a quand même vu et lu.”

 

 

 

 

Elle a elle-même été victime de deepfakes pornographiques, des images manipulées la représentant nue, destinées à l’humilier et à fragiliser sa parole publique. “Ces deepfakes participent à ce climat où on a l'impression qu'il faut se méfier de tout ce qu'on dit, fait, poste…” se désole-t-elle.

L’ONG Lobby européen des femmes souligne d’ailleurs que les femmes ont 27 fois plus de risques d’être visées par du cyberharcèlement que les hommes.

Salomé Saqué raconte : “Je mets régulièrement mes comptes en privé pour limiter les vagues de cyberharcèlement quand elles se déclenchent. Et quand il y a des raids, que ça prend une ampleur trop importante, je demande à certains proches de regarder à ma place les réseaux.”

 

 

Panneau
Panneau présenté lors du vernissage l'exposition “Journalisme à l’ère de Metoo” de Reporters Sans Frontières

 

 

 

Créations de postes de “gender éditor”, un levier de changements

Face aux inégalités persistantes dans les rédactions, un nouveau poste émerge dans plusieurs grands médias internationaux : celui de gender editor.

Les biais sexistes dans la presse sont une réalité largement documentée, une étude du Global Media Monitoring Project révèle que seuls 24 % des experts cités dans les médias sont des femmes, et que les sujets liés au genre restent souvent cantonnés aux pages culturelles ou sociétales, loin des rubriques politiques et économiques. C’est pour répondre à ces déséquilibres que des rédactions comme The New York Times aux USA, El País en Espagne ou encore Médiapart en France ont mis en place ces gender editors depuis quelques années.

Leur mission est multiple : analyser les biais dans le choix des sujets et des angles, s’assurer que les femmes ne sont pas uniquement interrogées en tant que victimes, mais aussi en tant qu’expertes, et promouvoir des pratiques plus inclusives, y compris dans la hiérarchie des rédactions. Car même si ces dernières ont atteint une parité dans leurs effectifs, les postes importants sont encore majoritairement occupés par des hommes.

 

 

Manifestation féministe
Manifestation féministe © Léa Degay

 

 

Ce poste constitue aussi une réponse aux violences sexistes qui frappent les journalistes, en mettant en place des dispositifs de protection et de signalement. Car dans un monde où les femmes journalistes sont plus exposées au cyberharcèlement et aux attaques misogynes, la question du genre en journalisme ne se limite pas à la représentativité, c’est aussi une question de sécurité et de liberté d’expression.

Selon une enquête statistique de Reporters Sans Frontières, 42 % des sondés constatent que des organisations professionnelles et des médias ont rédigé des chartes éthiques, des codes de bonne conduite ou des guides de bonnes pratiques sur le traitement médiatique des droits des femmes, des questions de genre et/ou des violences sexistes et sexuelles.

 

"La solidarité entre femmes journalistes est essentielle, car elle permet d’échanger des stratégies pour faire face aux difficultés du métier."

 

Si la nomination de gender editors ne règle pas instantanément les inégalités structurelles du métier, elle marque une avancée vers un journalisme plus juste et plus représentatif. Afin de se soutenir dans des contextes difficiles, certaines journalistes font le choix de rejoindre des groupes de soutien. “Il existe des collectifs et des associations de journalistes qui offrent une aide, notamment pour le partage d’expériences et de conseils. La solidarité entre femmes journalistes est essentielle, car elle permet d’échanger des stratégies pour faire face aux difficultés du métier.”, explique Liliana.

 

 

 

Les précautions à prendre en tant que femme journaliste expatriée

En parlant de son expérience personnelle, Bénédicte Mezeix-Rytwiński, journaliste et responsable de l'édition Varsovie chez Lepetitjournal.com, revient sur ses débuts en France et les difficultés qu'elle a rencontrées : “Lorsque j’ai commencé en France, c’était bien avant les mouvements comme #MeToo, et le machisme y était omniprésent. Les hommes occupaient les postes de direction, tandis que les femmes se retrouvaient dans des rôles d’assistantes. On accordait plus d'attention à l’apparence physique des journalistes qu'à la qualité des sujets qu’elles traitaient." Elle évoque également le moment où elle a choisi de prendre ses distances avec la télévision et la radio, exaspérée par cette hiérarchie et ces attentes. "Les journalistes étaient souvent jugées non par leur travail, mais par la façon dont elles étaient habillées ou coiffées."

 

 

 

 

Elle compare ensuite cette expérience avec sa situation actuelle en Pologne : “J’y ressens un climat totalement différent. Les femmes polonaises sont affirmées, occupent des postes de direction et sont très présentes dans les médias. Je n’ai rencontré aucun problème lié à mon genre ici, ce qui est un contraste frappant avec l’image que l’on a souvent des femmes polonaises, notamment en raison des lois restrictives sur l’avortement. En réalité, elles sont des battantes et un véritable modèle d’inspiration. Le journalisme y est un métier sûr pour les femmes.”

Pour Ysée, le métier de journaliste n’est pas anodin : “Il est clair qu’être une femme peut ajouter une complication supplémentaire dans certains pays.” Elle insiste sur l’importance de se renseigner avant de partir : “Il faut comprendre la reconnaissance du métier de journaliste dans le pays, la liberté d’expression, et bien sûr, la place des femmes dans la société d’expatriation.”

 

"Mon conseil en tant que femme est aussi de ne jamais considérer son genre comme un obstacle." Ysée*, journaliste

 

“Mon conseil en tant que femme est aussi de ne jamais considérer son genre comme un obstacle. Si un pays ne va pas dans ce sens, il vaut peut-être mieux trouver des destinations alternatives pour continuer de s’épanouir dans ce magnifique métier.”, conclut Ysée.

De son côté, Liliana recommande de nouer rapidement des contacts locaux, d’intégrer des réseaux de journalistes et de se former à la sécurité numérique et physique, “surtout si l’on souhaite couvrir des sujets sensibles.” Elle ajoute : “Enfin, il faut s’armer de patience et de détermination, car exercer le journalisme à l’étranger demande une grande capacité d’adaptation.”



 

*Le prénom a été modifié.