Édition internationale

En Inde : coexister avec des serpents

Beaucoup d'expatriés en Inde s'inquiètent de la présence de serpents près de chez eux. Et il est vrai que les morsures de serpents sont relativement courantes et représentent un véritable problème de santé publique. Pourtant, la majorité des serpents sont inoffensifs, et même utiles à l'environnement. Ils sont souvent protégés par la loi, et il est interdit de les capturer ou de les tuer.

serpent dressé sur une terrase. Image : Pexelsserpent dressé sur une terrase. Image : Pexels
Image : RawPixels
Écrit par Liliam Boti Llanes
Publié le 25 avril 2025, mis à jour le 28 avril 2025

Il y a quelques années, alors que nous nous promenions près de la porte des lions à Mykonos, en Grèce, notre fils a aperçu un énorme serpent rampant autour d’un arbre. Autour de nous, tout le monde s’est mis à hurler. Mais il a tenu bon malgré le brouhaha ambiant et l'a observé avec émerveillement jusqu'à ce qu'il s’éloigne vers la forêt voisine. Il n'a jamais oublié cette rencontre.

Retour en Inde : un jour, en sortant de chez nous, nous sommes tombés sur un très grand serpent, en train de nager dans notre aquarium, à l'entrée de la maison. À nouveau, mon fils l'a observé attentivement. Il s’agissait, d’après lui, d’un serpent non venimeux, comme la plupart des serpents rencontrés en ville, et notamment à Chennai, chez nous. Il a décidé, malgré tout, de le déplacer. Depuis, il a fait de même chaque fois qu’on a retrouvé un serpent près de la maison.

Car oui : en Inde, il arrive de tomber sur un serpent. Dans ce pays, même si les conflits avec de grands mammifères, commes les éléphants ou les tigres, sont les plus médiatisés, ce ne sont pas les conflits les plus fréquents. Les rencontres les plus communes sont avec les nombreuses espèces de serpents autochtones.
 

Les conflits entre humains et animaux sauvages dans l'Inde rurale


En Inde, la plupart sont inoffensilfs. Mais les milliers de personnes qui croisent chaque année dans le monde la route de serpents venimeux sont en réel danger. Rien qu’en Inde, environ 50 000 personnes meurent chaque année suite à des morsures des serpents. Ces personnes vivent principalement dans les campagnes, où plusieurs problèmes se téléscopent, l'un des plus urgents étant sans doute le manque d'installations sanitaires : toilettes publiques ou à l'intérieur des maisons. 
 

Serpent traversant une route. Image : Pexels
Image : Pexels


Les serpents dans la mythologie

Les serpents ont toujours été liés aux êtres humains. On les retrouve dans les cultures de toutes les civilisations situées en régions tropicales. Dans la religion hindoue, les serpents sont ainsi des créatures respectées, parfois vénérées comme des dieux. En témoigne, pour l'hindouisme, le tableau « Vishnu entouré par ses deux femmes » du célèbre artiste classique indien Raja Ravi Varma. Cette peinture est articulée autour d'un thème divin et mythologique : la représentation du Seigneur Vishnu et ses épouses, Lakshmi et Bhudevi, reposant sur le serpent cosmique, Shesha. L'image met l'accent sur l'équilibre cosmique et la notion de protection, deux concepts primordiaux dans le symbolisme hindou.
 

Vishnu entouré par deux femmes : tableau de Ravi Varma
Vishnu entouré par ses deux femmes, de Raja Ravi Varma, actuellement au MET museum de New York

Selon la tradition bouddhiste également, le serpent est sacré. Ainsi, c'est un serpent qui surgit de la terre, déployant son capuchon, pour protéger Bouddha de pluies torrentielles. 

Il n'en va pas de même dans les mythes chrétiens, que connaissent la plupart des expatriés en Inde. Le serpent y incarne le mal et évoque des forces obscures. À commencer par le mythe d'Adam et Ève, où c'est sous la forme d'un serpent que le diable tente Ève de goûter au fruit défendu.

 

Les morsures d'animaux : un défi pour la santé publique  

Les morsures d'anmaux constituent un réel problème de santé publique en Inde. La défécation a l’air libre, qui les favorise, en est une des causes.

Depuis l’année 2025, la rage, maladie causée généralement par une morsure de chien, est considérée dans le Tamil Nadu comme un problème majeur de santé publique. D’après le Ministère de la Santé Publique de l’État, aujourd’hui, dans les hôpitaux et cliniques publiques, les médecins sont davantage confrontés à des morsures de chien qu’a des maladies tropicales comme la malaria ou la dengue.

L'inde veut éliminer la rage au plus tard en 2030

Dans le cas des morsures de serpents, en 2024, le gouvernement du Tamil Nadu, suivant les recommandations de l'Organisation mondiale de la santé, a ordonné à tous les hôpitaux, publics et privés, de signaler toutes les morsures de serpent aux autorités sanitaires via le portail de surveillance des maladies infectieuses. La reconnaissance des morsures de serpent comme maladie à déclaration obligatoire en vertu de la loi de 1939 sur la santé publique du Tamil Nadu permettrait une meilleure collecte de données et, par conséquent, une meilleure prévention et un meilleur traitement.
 

Production d'antivenin. Image : Wikipedia CC
Production d'antivenin, à base de venin de serpent. Image : Wikipedia CC


À l'heure actuelle, au Tamil Nadu, même si plus de 70 % des morsures de serpent sont a priori non venimeuses, le gouvernement a ordonné aux médecins d'administrer des injections d'anti-venin à toutes les personnes mordues, par mesure de précaution.

Et contrairement aux idées reçues : en cas de morsure de serpent, le premier réflexe doit être d’aller à l’hôpital aussi vite que possible et non d’identifier le serpent responsable de la morsure. La victime et les témoins ne doivent pas perdre du temps, et encore moins se mettre en danger pour observer le serpent : les médecins sauront l’identifier d’après les symptômes du patient. 

En outre, grâce à l'arrivée il y a quelques années des antivenins polyvalents (APV), capables de neutraliser tous les venins utilisés dans leur production, il n'est plus nécessaire d'identifier le serpent.

 

La protection des serpents en Inde

En principe, il est déconseillé de prendre en main les serpents retrouvés dans les habitations. Et surtout, il ne faut jamais les tuer : parce qu’ils sont très importants pour l’environnement, et aussi parce que les serpents sont protégés en tant qu'animaux sauvages par différentes annexes de la loi de 1972 sur la protection de la faune sauvage et l’interdiction de la chasse illégale.

La possession de serpents protégés, de parties de leur corps ou même de leur venin constitue une infraction punissable selon l'article 49A.b de la loi de 1972.
 

Serpent enroulé sur lui-même
Image : Pexels

 

Le cas des pythons, cobras et autres serpents

Toutes les espèces de pythons, une grande famille de serpents non venimeux, sont protégées par l'annexe I, partie II (amphibiens et reptiles) de la loi de 1972 sur la protection de la faune sauvage. Les pythons bénéficient ainsi du même niveau de protection que l'éléphant d'Asie, le tigre, l’antilope indienne, le caracal ou le léopard parmi tant d’autres animaux plus connus.
 

La protection des éléphants en Inde


Malheureusement, les pythons, bien qu’inoffensifs pour l’homme, sont particulièrement menacés en raison de leur taille imposante. Dans la région de Coimbatore, au Tamil Nadu, ils sont notamment en danger depuis quelques années en raison de l’intensification des activités humaines en lisière de forêt et de la disponibilité accrue de nourriture liée à cette présence. Repérés plus fréquemment par les habitants, ils se retrouvent davantage exposés au danger.

Les serpents venimeux, comme les cobras indiens (y compris les cobras royaux), et la vipère de Russell, sont tous aussi protégés par l'annexe II de la loi de 1972 sur la protection de la faune sauvage.

Le serpent ratier, très commun, et les serpents d'eau tels que le keelback à damier et le keelback olive sont également classés à l'annexe II (partie II) de la loi et bénéficient désormais du même niveau de protection que l'ours noir, l'ours brun de l'Himalaya et même le cachalot.

 

Quelles peines pour la mise en danger d'animaux protégés en Inde ?

Il faut également savoir que la loi de 1972 sur la protection de la faune sauvage interdit toute forme de piégeage, de capture ou de chasse aux serpents, ainsi que leur utilisation à des fins d’exposition ou de divertissement. De ce fait, toute blessure, tout harcèlement ou toute mise à mort d’un animal protégé par les annexes I ou II de cette loi est passible de sanctions allant d’une amende de 10 000 roupies à une peine d’emprisonnement pouvant atteindre sept ans.

Malgré les obstacles à l'application de la loi, la police enregistre régulièrement des signalements pour non-respect de la procédure relative à la manipulation de serpents ou pour dommages causés à ces derniers.
 

Serpent dans un pot.
Image : Pexels


Applications de la loi sur la protection des serpents

Indépendamment des opinions que l’on peut avoir sur le traitement des animaux en Inde, il existe un grand nombre de citoyens activement engagés dans la protection de la flore et de la faune locales.

En janvier 2024, un hôpital vétérinaire multispécialisé de l'État du Karnataka a ainsi pris en charge un cobra, en lui prodiguant une chirurgie reconstructive après que l'animal ait été accidentellement blessé lors de travaux d'excavation dans un champ.

Le non-respect de la loi attire par ailleurs des conséquences pénales sévères. C’est ainsi qu’en juin 2024, un homme a été arrêté dans un village près de Tirupathur, dans l'État du Tamil Nadu, pour avoir tué, dépecé, cuit et mangé un serpent ratier, et en avoir publié des photos sur les réseaux sociaux. De même, en 2023, un ouvrier du bâtiment s’est retrouvé en prison à Coimbatore, pour avoir fracassé la tête d’un serpent ratier avec une brique.

Un autre exemple est celui de deux chasseurs de serpents dans un village, à nouveau, du Tamil Nadu. Ils ont été arrêtés et présentés devant la Cour en mai 2024, et inculpés en vertu de la loi sur la protection de la faune sauvage pour avoir filmé le sauvetage d'un serpent ratier sans autorisation, ce qui constitue une infraction.

 

Le cas des mal nommés "charmeurs de serpents"

La pratique des « charmeurs de serpents » est également interdite, car ils enfreignent les lois sur la faune sauvage en gardant en captivité des animaux protégés sans autorisation des autorités. Cette pratique est aujourd'hui fortement découragée dans toute l'Inde, car elle implique également généralement des mauvais traitements infligés aux serpents, qui meurent parfois d'infections.

Par ailleurs, de nombreux charmeurs de serpents trompent le public en promettant des naagmani (pierre précieuse mythique qui serait possédée par certains serpents et qui aurait des pouvoirs magiques) et font commerce de produits dérivés d'animaux sauvages. La croyance dans le naagmani, associée à la magie noire, est un véritable problème de santé publique, en plus de nuire à la protection des serpents.

La mort en Inde : les décès dus à la magie noire et aux supertitions
 

Charmeur de serpent
Image :  Wikipedia CC


Que faire si on tombe sur un serpent ?

En raison de la réduction de leur habitat, nous pouvons tous être confrontés à des serpents.

Si vous en rencontrez un chez vous, gardez à l'esprit qu’en Inde, la plupart des serpents sont inoffensifs. Rappelez-vous aussi que les serpents non venimeux éloignent les serpents venimeux, tuent les rats et autres animaux nuisibles. 

N’essayez pas de les capturer, et surtout pas de les tuer ! Contactez le Département des Forêts ou l'un des groupes de sauvetage de serpents agréés par le gouvernement : il y en a au moins un dans chaque département.

Enfin, j'encourage chacun à installer l'application « snakehub », un trésor d'informations sur la conservation des serpents en Inde. Tous les serpents y sont parfaitement identifiés et une explication claire est donnée sur les moyens de les reconnaitre, sur leur conservation et également sur les morsures. C’est un bon moyen de sensibiliser les enfants à la protection de l’environnement, tout en utilisant le téléphone portable.

 

 

Sujets du moment

Flash infos