Le 28 avril 2025, une panne électrique historique a paralysé l'Espagne et le Portugal. À travers des témoignages recueillis sur place, nous vous faisons vivre cette journée hors norme, faite d'angoisse, de débrouillardise, mais aussi d'entraide et d'humanité.


Sauver les aînés sous oxygène
Rude journée pour les bénévoles, mais si gratifiante : nous avons pris soin des plus vulnérables.
En tant que bénévole de la Protection Civile, notre groupement a été mobilisé en urgence pour aider la population. Les personnes âgées des EHPAD étaient les plus vulnérables, surtout quand elles sont sous thérapie d'oxygène. Or, avec la panne, les machines ne fonctionnaient plus. Il fallait donc les emmener à l'hôpital qui dispose de générateurs.
Il a fallu faire preuve de beaucoup de patience, d'humour et de bienveillance pour réussir ce déplacement, loin de sa zone de confort et des proches habituels, dans les conditions les plus agréables possibles. Une fois la normalité de retour on a fait le chemin en sens inverse, pour les emmener à nouveau là où ils se sentent confortables et en sécurité. Rude journée pour les bénévoles, mais une garde très satisfaisante, dans le cœur du métier de la Protection Civile : prendre soin des membres les plus vulnérables de notre société.
Guillermo, Collado Villalba
Déconnexion forcée, reconnexion à l’instant présent
Le mieux à faire ? Prendre un livre, lire, vivre l’instant présent.
Vers 12h40 je voulais faire tourner le lave-linge chez moi et je pensais qu’il n’y avait pas d’électricité. Je me dis que ce sont sans doute les plombs de mon appartement qui ont sauté, je regarde un petit peu dans la rue et je vois que c’est général. Je me suis dit que cela était une panne de quartier ou peut-être de la ville de Barcelone, mais je constate que ni moi ni mes colocs n’avons de réseau avec nos cartes SIM étrangères : la coupure est sans doute plus importante.
J’ai donc décidé de profiter de cette journée sans coupure pour aller me balader dans les rues de Barcelone, m’installer au soleil. Heureusement, j’avais de l’espèce sur moi pour pouvoir me payer un verre en terrasse, les heures passent, et je constate qu’il n’y a toujours pas de retour à la normale. Cependant un policier m’indique que dans la rue Carrer de San Pau dans le Raval, il y a un peu de réseau téléphonique sans savoir pourquoi. Je me suis donc installée dans cette rue avec d’autres personnes, et j’ai entendu une radio avec les informations de la panne, ainsi qu’un retour prévu plutôt dans la soirée que la journée.
Le mieux à faire était encore de prendre un livre, lire, prendre le soleil et vivre véritablement l’instant présent. Je suis rentrée chez moi à 17 heures, prête à allumer des bougies mais finalement le courant est revenu rapidement dans le quartier de Sant Antoni et le Raval tandis que d’autres quartiers comme Plaza España ont attendu 1 heures du matin pour avoir du courant… Cela nous rappelle à quel point nous sommes dépendants de l’énergie et qu’avoir de l’argent en espèces est toujours une bonne idée dans ce genre de contexte (expérience de mes nombreux voyages en sac à dos).
Margaux, Barcelone
Transports paralysés en Espagne : reprise lente après la gigantesque panne électrique
Sous terre, dans le noir du métro de Madrid
On ne sait pas ce qu’il se passe, mais on agit.
J'ai vécu la panne électrique d'abord sous terre : j'étais dans le métro à Madrid, ligne 6. Je crois qu'il était 12h30. Il s'est subitement arrêté, tout s'est éteint. Les lumières d'urgence ont pris le relais. Et nous nous sommes préparés à attendre. Personne n'a donc bougé les premières minutes, espérant que le métro repartirait, espérant une annonce du conducteur qui a juste pu exprimer des excuses pour la gêne occasionnée. Puis quelques personnes se sont décidées à sortir ; je me suis décidée à mon tour avant que tous ne le fassent. Parcourir les couloirs du métro presque vides, monter des escaliers avec une lumière faiblarde mais suffisante a été un étrange moment, un rêve bizarre. On ne sait pas ce qu'il se passe mais on agit.
Une fois au soleil, j'ai bien évidemment compris que ce que je croyais être une panne temporaire et réduite, était de grande ampleur. Les gens agglutinés, s'interrogeant mutuellement, commentant, les feux éteints, les nombreux policiers et agents de circulation déployés pour régler la circulation, les magasins devenus sombres, certains déjà fermés, tout indiquait l'inhabituel.
Une fois arrivée dans mon quartier - Alto de Extremadura - l'ambiance a été un peu la même : davantage de personnes dehors, certaines avec des radios à plein volume, et des commentaires que l'on capte en marchant : "je ne vais bientôt plus avoir de batterie", "au moins il me reste une empanada pour mon repas"....
Maylis, Madrid
Blackout... dans l'Espagne rurale
Pendant plusieurs heures, la batterie du téléphone a semblé notre unique lien au monde.
J'ai vécu la coupure de courant en direct, en télétravail, derrière l'ordinateur. Dans ma commune de la sierra, la seule source d'information a pendant la première demie-heure été le groupe WhatsApp du village, au travers duquel nous avons constaté que l'incident affectait tout le quartier, toute la commune, celles avoisinantes, l'ensemble de la zone, toute la communauté... Madrid, Getafe, Guadalix... Au fur à mesure que les minutes passaient de nouveaux témoignages issus des contacts des membres du chat révélaient la portée du problème. L'agacement a fait place à la surprise, la surprise à l'angoisse, l'angoisse à la gestion des priorités, familiales et professionnelles.
Pendant plusieurs heures, le niveau de charge de la batterie du téléphone a paru constituer un indice de survie bien fragile... A 17h30 nous avons totalement perdu la connexion au réseau. La radio (de la voiture !) est devenue la seule source d'information. L'expérience rappelle évidemment le traumatisme du Covid, qui en dépit du confinement, a constitué une expérience vécue à l'échelle de la nation. N'avoir pas pris part au chaos de la grande ville m'a quelque part privé de cette expérience commune... Tant pis, ou tant mieux. A la sortie de l'école, en discutant avec les parents d'élèves venus récupérer leurs enfants, un papa m'a glissé : 'je viens tout juste de réaliser que la coupure de courant n'avait pas eu lieu seulement chez moi'...
Vincent, Madrid
Chronique d’une journée suspendue à Barcelone
Dans le silence, la solidarité a surgi.
Il est midi et demi. Je suis à Barcelone, dans une rue du centre, au téléphone avec ma femme, restée à Valence. Elle est dans un ascenseur quand soudain, je l'entends mentionner une coupure d’électricité… puis plus rien. Le silence.
Autour de moi, je vois des passants figés, les yeux rivés à leurs téléphones. Je m’approche d’un groupe, je leur demande ce qu’il se passe. Certains pensent à une simple panne du réseau mobile, locale. Mais je comprends vite que c'est plus grave. Un silence inhabituel enveloppe alors toute la rue. À ce moment-là, je me rends compte qu'il ne s'agit pas seulement d'une panne de réseau, mais d’une coupure d’électricité à grande échelle. Et, je l’avoue, la panique m’a gagné. Avec une tendance naturelle — et un peu renforcée par l'actualité — à envisager le pire, je me mets à imaginer attentat, cyberattaque, voire guerre.
Vers 13h, je parviens à joindre un ami en France. Il me rassure : il s’agirait d’une panne massive touchant l’Espagne et le Portugal. Mon réflexe de journaliste prend alors le dessus : j’alerte Radio France, passe en direct sur France Inter, puis cherche à rejoindre les autorités locales. Sans GPS ni Internet, je déambule dans Barcelone, croisant touristes perdus et policiers sans informations.
En chemin, je fais une rencontre providentielle : une dame catalane d’environ 70 ans, aussi perdue que moi. Spontanément, je lui propose de faire route ensemble. Grâce à elle, Barcelone m’a semblé tout de suite moins étrangère. Elle connaissait parfaitement la ville et parlait catalan, ce qui a grandement facilité nos démarches. Arrivé à la Generalitat, carte de presse en main, je parviens à intégrer la cellule de crise. Là, je peux enfin recharger mon téléphone — il ne me restait que 10 % de batterie — et tenter de recoller les morceaux d'une journée suspendue.
À l’extérieur, la scène est irréelle : métros bloqués sous terre, manèges suspendus dans le vide, trains immobilisés en pleine campagne. Privés d’électricité, habitants et touristes se raccrochent aux rares radios à piles, ultime lien avec le monde extérieur. Dans ce grand silence, une solidarité instinctive s’est imposée, rappelant que face à l’imprévu, l’entraide reste notre premier et meilleur réflexe.
Paul, Barcelone
Coupure géante à Barcelone : témoignage d'une panne historique
"C’est tout Indautxu ! C’est toute l’Espagne !"
On pense au covid. On va s'adapter.
"C'est toute la rue !" "C'est tout Indautxu !" [ndlr : le quartier commerçant de Bilbao]. Dehors, j'entends : "En fait, c'est toute l'Espagne et le Portugal."
J'avais rendez-vous dans une heure pour grignoter des pintxos avec mon mari. Impossible de le joindre, je n'ai plus de réseau. Je décide de rentrer chez moi pour me connecter au wifi. Mais à la maison il n'y a pas de wifi et de toute façon je n'ai plus de batterie sur mon téléphone. "Ils avaient prévenu sur les réseaux qu'il y aurait une coupure d'électricité mondiale pour la Semana Santa. Ils vont vider tous les comptes en banque ! On n'aura plus rien !" : ma femme de ménage fait monter la pression.
Le pire : l'école, la crèche ne peuvent pas me joindre en cas de problème avec mes enfants. Si d'ici 15h00, rien de neuf, j'irai les chercher. Dans la rue, tout le monde est en terrasse. C'est l'été, les bilbainos en profitent pour boire un verre ou fumer une cigarette. C'est un peu l'aventure devant sa porte ! Et puis il y a ceux qui profitent de l'absence de feu de signalisation pour foncer à toute allure sur Gran vía...
La tour Iberdrola se vide de ses cols blancs, ma rue se bouche de voitures et les sirènes de pompiers résonnent de plus en plus fréquemment. Paris est-elle dans le même bateau ? Ou au moins au courant ? Parce que là, je ne peux ni me connecter aux calls, ni prévenir... On pense au covid. On va s'adapter. Surtout commencer à réfléchir à l'organisation avec les enfants, si ça continue. Et puis le courant repart, le réseau revient et le téléphone n'en finit pas de sonner. "On apprend aux infos qu'il y a une panne générale d'électricité en Espagne. Êtes-vous touchés ?"
Elise, Bilbao.
Madrid sans courant, mais pleine de vie
Même sans électricité, Madrid est restée joyeuse.
Vers 12h30, la lumière s’est soudainement éteinte dans notre bureau madrilène, tandis que le Wi-Fi fonctionnait encore. Rapidement, nous avons appris qu’il s’agissait d’une panne d’électricité généralisée. Face à l’incertitude, nous avons quitté nos postes pour rentrer chez nous et être au chômage technique.
Sur le chemin, j’ai croisé une amie avec qui j’ai improvisé une balade au parc, dans un Madrid méconnaissable : voitures avançant sans feux, touristes perdus dans les rues, files d’attente devant les rares magasins encore ouverts, voyageurs bloqués, groupes d’amis et de collègues réunis au parc ou en terrasse. Peu à peu, l’inquiétude initiale s’est transformée en une forme de légèreté inattendue : concerts de rue, rires partagés, écoute groupée de la radio sur les trottoirs… Malgré tout, Madrid restait joyeuse, vivante, et profondément humaine.
Victoire, Madrid
Quand l’humanité triomphe de la panne en Espagne
Même sans lumière, la foi éclaire.
Je pourrai témoigner comme chacun d'entre nous, de l'étonnement qui s'est peu à peu transformé en un sentiment d'impuissance, des difficultés de circulation dans la ville de Murcie privée de feux de signalisation, ou enfin de l'inquiétude de nos proches avec qui nous ne pouvions plus communiquer. J'ai choisi au contraire un événement empreint d'humanité et d'optimisme. Ce lundi, 28 avril de l'an de grâce 2025, a été célébré un office religieux en la mémoire de Mercedes, la mère de mon ami Juan Ramon.
D'habitude ces célébrations attirent une foule de notables plus soucieux d'être vus que de prier. Hier, malgré les difficultés de déplacement, l'incertitude de la tenue de la messe, une centaine de parents et amis fidèles s'est rendue à l'église San Lorenzo. Ni l'obscurité, ni l'absence de sonorisation, ont pu perturber le recueillement et la chaleur de l'assistance.
Aucune difficulté, absence d'ascenseur, longue marche à pied, n'ont dissuadé des amis ou des parents très âgés d'être présents pour réconforter la famille. Alors que j'avais, dans un premier réflexe, hésité à me rendre à cette belle messe, j'ai savouré chaque instant de prière ou d'amitié. Le soir, de retour à la maison, autour d'un repas simple éclairé à la bougie, je suis arrivé à une heureuse conclusion : l'humanité est bien vivante malgré sa dépendance à une technologie défaillante.
Gilles, Murcie
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