Édition internationale

André Dumouchel, l’éditeur québécois qui donne une voix à l’environnement

Face à l’omniprésence du numérique et aux bouleversements écologiques, André Dumouchel a su inscrire ses publications dans le paysage médiatique québécois en misant sur une approche durable de l’information. Son parcours, débuté presque par hasard, l’a mené à devenir un témoin privilégié des transformations du secteur. Pourtant, il reste critique : selon lui, la sensibilisation environnementale doit aller bien au-delà des slogans répétés depuis des décennies.

André DumouchelAndré Dumouchel
André Dumouchel, éditeur des magazines 3RVE et Source - Photo Courtoisie
Écrit par Bertrand de Petigny
Publié le 1 mars 2025

 

 

Du droit à l’édition : un engagement né sur le terrain

Rien ne prédestinait André Dumouchel à devenir un acteur clé du journalisme environnemental. Étudiant en droit, il décroche un emploi d’été dans une campagne de sensibilisation à l’économie d’eau potable pour la région Laval-Laurentides-Lanaudière. Loin d’être une simple parenthèse, cette première immersion dans l’univers de l’environnement est un déclic. « J’ai adoré cette expérience, au point de rester impliqué à temps partiel pendant mes études », se souvient-il.

C’est au sein de Réseau Environnement, un organisme québécois qui fédère les professionnels du secteur depuis plus de soixante ans, qu’André Dumouchel affine sa compréhension des enjeux environnementaux. Pendant sept ans, il touche à tout : communication, organisation du salon Americana, et surtout, la commercialisation de la revue de l’association. C’est là qu’il mesure l’importance cruciale de l’information spécialisée. « On m’a confié la gestion de Vecteur, et j’ai alors compris que ce secteur avait besoin d’un média dédié », confie-t-il.

Lorsque des restrictions budgétaires mettent un terme à son aventure chez Réseau Environnement, il se retrouve à un tournant. Loin de subir cette transition, il y voit une opportunité : celle de créer ses propres magazines. Soutenu par ses amis et contacts du milieu, il lance alors 3RVE et Source, deux publications entièrement consacrées aux matières résiduelles et à la gestion de l’eau. Aujourd’hui, ces magazines font figure de référence pour les experts, les décideurs politiques et les citoyens engagés.

 

 

magazine 3RVE

 

 

Une presse spécialisée face aux défis du numérique

Dans un monde où l’instantanéité domine, les médias papier ont dû se réinventer. Si nombre de journaux ont souffert de la transition numérique, les publications d’André Dumouchel résistent. « Contrairement aux médias d’information généralistes, nous ne courons pas après l’actualité immédiate. Nos articles restent pertinents sur le long terme car ils analysent des tendances et des avancées durables. Ils sont écrits par des experts après une importante réflexion, contrairement à une publication sur les médias sociaux », explique-t-il.

Toutefois, il ne néglige pas l’importance du digital. Un projet ambitieux de numérisation des archives de 3RVE et Source est en cours. « Nous avons déjà trois ans d’archives accessibles en ligne, et notre objectif est de rendre disponibles nos vingt ans de contenu car ces textes témoignent fidèlement de l'évolution de nos pratiques», souligne-t-il. Ce travail titanesque vise à offrir un accès libre à une mine d’informations sur l’histoire des politiques environnementales québécoises.

 

 

Le magazine Source

 

 

Donner une voix à une industrie invisible

Le secteur environnemental, bien que crucial, reste souvent dans l’ombre. « C’est une industrie où l’argent ne coule pas à flot, et qui n’a pas l’attrait médiatique d’autres secteurs comme la santé ou la finance », constate André Dumouchel. Pourtant, il rappelle que ses acteurs sont essentiels à notre quotidien.

Le recyclage, le compostage, le traitement des eaux usées… autant de services perçus comme allant de soi par la majorité des citoyens. « On est dans une forme de pensée magique : les gens déposent leurs bacs au bord de la rue et pensent que tout est réglé. Mais derrière, il y a des professionnels qui travaillent d’arrache-pied, souvent sans reconnaissance. »

Ses magazines visent à mettre en lumière ces métiers de l’ombre et à valoriser les innovations du secteur. « On parle beaucoup des énergies vertes et de la transition écologique, mais on oublie que la gestion des déchets et de l’eau est tout aussi stratégique pour l’avenir », insiste-t-il.

 

 

L’éducation, le maillon faible de la sensibilisation

Pour André Dumouchel, l’un des grands manques des politiques environnementales au Québec réside dans la transmission des connaissances. « Depuis 25 ans, on répète aux citoyens de ne pas gaspiller l’eau en laissant couler le robinet. Mais a-t-on vraiment expliqué pourquoi ? A-t-on enseigné la valeur de l’eau potable ? ou simplement qu'elle a une valeur ? »

Il est convaincu que la sensibilisation doit aller au-delà des slogans publicitaires et s’ancrer dans l’éducation. « On aurait dû commencer à enseigner dès les années 90 que l’eau n’est pas une ressource infinie, même au Québec. Aujourd’hui, on en paie le prix. »

Mais un obstacle de taille complique cette mission : l’idée profondément ancrée dans la culture québécoise que l’eau est surabondante et gratuite. « Au Québec, nous sommes entourés de lacs, de rivières et de fleuves. Dans l’imaginaire collectif, l’eau est partout et inépuisable. Comment sensibiliser une population qui ne voit pas la rareté de cette ressource ? »

Selon lui, il est urgent de repenser les stratégies éducatives. « Ce n’est pas en rappelant aux citoyens de fermer le robinet qu’on changera durablement les comportements. Il faut intégrer ces notions dans les programmes scolaires, dans les garderies, et même dans les formations pour nouveaux arrivants. »

 

 

L’eau : un enjeu stratégique pour l’avenir

Parmi les sujets qui lui tiennent particulièrement à cœur, celui de l’eau occupe une place centrale. Pour André Dumouchel, il ne s’agit pas seulement d’une ressource naturelle, mais d’un véritable enjeu stratégique pour l’avenir du Québec. 

Il partage pleinement l’avertissement de Soula Chronopoulos présidente de AquaAction : « L’eau est un enjeu de sécurité nationale. Pourtant, peu de gens en prennent la mesure. » Une affirmation qui, selon lui, résonne encore plus fort dans un contexte de changements climatiques et de pressions croissantes sur les ressources hydriques.

Il cite en exemple la situation au Mexique, où il possède des commerces et où la pénurie d’eau devient une réalité concrète. « Là-bas, certaines villes développées sont déjà à court d’eau potable qu’elles doivent importer. Nous ne sommes pas à l’abri d’une telle crise. »

Il s’inquiète également de la position du Québec face aux États-Unis. « Si la sécheresse s’aggrave aux États-Unis, peut-on vraiment croire qu’ils ne puiseront pas dans les Grands Lacs ? Il y a des accords, certes, mais en cas de crise majeure, les lois peuvent être contournées. »

Un avocat collaborant avec ses magazines prépare d’ailleurs un dossier sur les implications juridiques d’un éventuel détournement des ressources hydriques québécoises par les États-Unis. « Sur le plan légal, nous sommes protégés, mais en politique, tout est une question de rapport de force. Il faut se préparer dès maintenant », alerte-t-il.

 

 

Un optimisme lucide pour l’avenir

Malgré les nombreux défis, André Dumouchel reste confiant. « L’industrie de l’environnement avance. Peut-être pas aussi vite qu’on le voudrait, mais elle progresse. » Il observe notamment des améliorations dans la gestion des matières résiduelles et l’efficacité des infrastructures de traitement de l’eau.

Mais il met en garde contre la complaisance. « On ne peut pas se contenter de petites avancées. La vraie question est de savoir si on attendra une crise pour agir en profondeur. »

Alors que les politiques environnementales se transforment et que la crise climatique s’intensifie, André Dumouchel continue de documenter, d’analyser et de donner la parole aux acteurs de l’environnement. Son engagement ne faiblit pas : informer pour mieux sensibiliser. Mais une question demeure : le Québec réalisera-t-il enfin que son eau n’est pas infinie avant qu’il ne soit trop tard ?

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