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L’eau au cœur de la cité hydraulique d’Angkor – essor et déclin

Après avoir célébré l’importance vitale du Tonlé Sap à l’occasion du Nouvel An khmer, nous poursuivons notre voyage au cœur de l’eau sacrée au Cambodge. La cité d'Angkor, joyau de l'empire khmer du IXᵉ au XIVᵉ siècle, doit sa splendeur autant à son ingénierie hydraulique qu'à sa vulnérabilité face aux caprices de l'eau. De l’âge d’or des barays à la fragilité contemporaine des temples, l’eau reste le fil conducteur d’un récit millénaire.

Une entrée des temples d'AngkorUne entrée des temples d'Angkor
Une entrée des temples d'Angkor - Illustrations LPJ
Écrit par Caroline Rithya Ky
Publié le 30 avril 2025

 

L’eau sacrée, fondement de la grandeur d’Angkor

Abordons la place centrale qu’a joué l’eau dans l’essor et le déclin de la civilisation d’Angkor, qui fut la capitale de l’empire khmer du IXe siècle au XIVe siècle. Les majestueux temples d’Angkor, emblème du Cambodge, fascinent par leur style d’une finesse inouïe et l’eau, sacrée et source de vie, y est omniprésente.
 

 

La "rivière aux mille lingas", ou Kbal Spean
La "rivière aux mille lingas", ou Kbal Spean

 

L’eau entourant le célèbre temple d’Angkor Wat représente l’océan cosmique entourant le Mont Méru, l’axe de l’univers dans la cosmologie hindoue. Le site d’Angkor tire sa principale source de l’eau en provenance de « Phnom Kulen » (littéralement « la montagne des litchis » en cambodgien) d’où coule une rivière au lit sculpté de 1300 lingas* (site de « Kbal Spean ») qui rendrait l’eau alimentée au site d’Angkor, via la rivière Siem Reap, sacrée. L’eau était destinée à la consommation humaine mais aussi aux rizières.

 

 

L'eau est omniprésente autour des temples d'Angkor. La largeur des bassins est impressionnante.
L'eau est omniprésente autour des temples d'Angkor. La largeur des bassins est impressionnante.

 

 

Une prouesse d’ingénierie au service des temples

Bâtir ces imposants temples sur une plaine centrale au niveau de la nappe phréatique élevée tout en composant avec le cycle des saisons sèches et de moussons relève d’un exploit d’ingénierie. Le premier défi était de s’assurer de la stabilité de la fondation des temples, érigés sur une couche de sable.

Pour cela, les ingénieurs khmers comprirent qu’à l’image d’un château de sable qui tient tant que le sable est mouillé, les couches de sable soutenant les temples devaient rester humides en tout temps. Ainsi, les douves entourant certains temples, en plus de leur fonction symbolique, avaient un rôle technique car elles permettaient de s’assurer d’un niveau d’eau souterrain suffisant, de stocker l’eau et de recharger la nappe phréatique.

 

Barays (bassins de rétention)
Baray occidental (Sras Sang) . Photo : Rithya Caroline Ky

 

Le système hydraulique : un réseau vital de bassins et de canaux

Pour gérer l’eau, les ingénieurs khmers avaient prévu un système sophistiqué de canaux, digues, douves, étangs et barays (« bassins de rétention »). Ceux-ci, imposantes structures dotées de structures hydrauliques d’entrée et de sortie, avaient pour fonction de retenir l’eau durant la période des moussons et des crues et de la stocker en période sèche. La capacité totale des barays était d’environ 100 millions de mètres cubes (soit la capacité de 149 stades olympiques de Montréal !).

 

Un autre bassin de rétention
Un autre bassin de rétention

 

Déclin d’Angkor : quand l’eau devient un défi insurmontable

Une des causes supposées au déclin d’Angkor est associée au déficit d’entretien des structures hydrauliques, ceci combiné à des changements climatiques et à une capacité insuffisante à répondre aux besoins de la population croissante de l’agriculture. Une analyse des sédiments recueillis au fond des barays indiquerait que les Khmers ont été dépassés par les événements et que leur système hydraulique n’a pu faire face aux changements climatiques.
 

Ainsi, à la fin du XIVe siècle et début du XVe siècle, Angkor sombra peu à peu dans l’oubli et la nouvelle capitale fut érigée à Lovek, à mi-chemin entre Phnom Penh et l’extrémité sud du Tonlé Sap.

 

 

Siem Reap aujourd’hui : le poids d’une pression hydrique moderne

Qu’en est-il de la situation par rapport à l’eau aujourd’hui? Devenue une métropole trépidante dépassant le million d’habitants, la ville de Siem Reap, située à proximité des temples d’Angkor, attire chaque année des hordes de touristes. Les développements tels que complexes hôteliers, golfs et commerces, la demande en eau de la population croissante et la pointe causée par l’afflux de touristes créent un stress hydrique important et un abaissement du niveau de la nappe phréatique. La stabilité des fondations des temples d’Angkor est donc fortement compromise.

 

 

Des initiatives pour préserver la mémoire d’Angkor

De nombreux organismes tels que l’Unesco, le Comité international de coordination pour la sauvegarde et le développement du site historique d’Angkor, un forum d’experts techniques et l’Autorité pour la protection du site et l’aménagement de la région d’Angkor et de Siem Reap (APSARA) œuvrent à trouver des solutions pérennes pour assurer la sauvegarde de ce site d’une valeur inestimable. Une solution envisagée vise même à pomper l’eau du Tonlé Sap pour recharger la nappe phréatique.


Pour relever le défi de sauver les temples et fournir l’eau nécessaire à la région, l’UNESCO développe des solutions visant à engager diverses parties prenantes, y compris la population. De plus, l’autorité nationale APSARA, en collaboration avec diverses agences et partenaires privés, mène depuis plusieurs années des recherches afin de réhabiliter le système hydraulique d’Angkor et des projets de collecte de données sont mis en place pour pouvoir mieux gérer l’eau.

 

Un hommage au Tonlé Sap

L’eau au cœur de la culture khmère

 

Un combat séculaire pour protéger l’énergie vitale de l’eau

D’hier à aujourd’hui, les défis auxquels font face les ingénieurs khmers pour « protéger l’énergie vitale de l’eau », comme leurs ancêtres légendaires les nagas, demeurent colossaux. La maîtrise de l’eau, jadis gage de prospérité et de stabilité, redevient aujourd’hui une urgence patrimoniale et écologique.

Le destin d’Angkor est suspendu à celui de sa nappe phréatique. À l’heure où la mémoire, le savoir-faire ancien et les technologies contemporaines se rencontrent, la question demeure : serons-nous à la hauteur des anciens bâtisseurs khmers ?