Né en 1885, Conrad Kirouac, issu d'une vieille famille bretonne émigrée au Canada en 1730, rejoint les Frères des écoles chrétiennes à l'âge de 16 ans, prenant le nom de Marie-Victorin. Cette ascendance bretonne, inscrite dans le contexte plus large de l'identité canadienne-française, a probablement contribué à forger son fort nationalisme. Le grand-père de Marie-Victorin avait d'ailleurs participé à la "reconquête des Bois-Francs sur les Anglais", reflétant un attachement indéfectible à la francophonie et une résistance à l'influence anglophone.
Nous ne serons une véritable nation que lorsque nous cesserons d'être à la merci des capitaux étrangers, des experts étrangers, des intellectuels étrangers; qu'à l'heure où nous serons maîtres par la connaissance d'abord, par la possession physique ensuite des ressources de notre sol, de sa faune, de sa flore. Pour cela, nous avons besoin de sérieuses vocations scientifiques.
Marie Victorin
Sa passion pour la botanique, découverte durant une convalescence due à la tuberculose en 1903, l'amène à devenir professeur de botanique à l'Université de Montréal en 1920. "Ce fut pour moi une révélation : la nature est un livre ouvert, qu’il s’agit d’apprendre à lire," écrira-t-il à propos de sa vocation scientifique. Cette phrase témoigne de son regard émerveillé sur le monde végétal et de son désir de transmettre cette connaissance à travers la langue française.
La Flore laurentienne : une œuvre magistrale
En 1935, Marie-Victorin publie La Flore laurentienne, un ouvrage qui répertorie la flore du Québec. Ce travail colossal, fruit de vingt ans de recherches, est aujourd'hui considéré comme un des premiers ouvrages scientifiques d'envergure au Québec. "Nous avons là un patrimoine naturel exceptionnel," affirmait-il, convaincu que la connaissance de la flore locale devait être au cœur de l'identité québécoise et de la maîtrise de leur environnement par les Canadiens français.
Un engagement pour la communauté scientifique : la fondation de l'Acfas
Loin de se limiter à ses travaux botaniques, le frère Marie-Victorin était également un fervent défenseur de la communauté scientifique francophone. En 1922, il est l'un des principaux fondateurs de l'Association canadienne-française pour l'avancement des sciences (Acfas). À travers cette organisation, il voyait une opportunité de structurer la recherche scientifique au Québec et de la rendre accessible en français. "L'Acfas, c'est le lien entre les chercheurs d'ici et de l'étranger," affirmait-il, soulignant l'importance d'unir les forces pour faire rayonner la science québécoise.
Cette association est rapidement devenue un pilier de la diffusion des savoirs scientifiques au Québec, notamment grâce à l'organisation de congrès annuels où les scientifiques pouvaient partager leurs découvertes. Aujourd'hui encore, l'Acfas continue d'incarner cet idéal de collaboration et de développement scientifique, tout en jouant un rôle clé dans la promotion de la Francophonie. À l'heure actuelle, alors que la mondialisation intensifie les échanges scientifiques, l'Acfas contribue à renforcer la place du français dans les sciences, soutenant ainsi la vitalité de la Francophonie à l'échelle internationale. Dans un monde dominé par l'anglais, comment continuer à faire entendre cette voix francophone dans les milieux de la recherche ?
Un jardin pour les générations futures
Marie-Victorin est également le fondateur du Jardin botanique de Montréal, créé en 1931. À sa mort en 1944, le jardin n’en était qu’à ses débuts, mais il est aujourd'hui l'un des plus grands au monde. "Je ne le verrai pas terminé, mais je sais qu'il sera un symbole d'avenir," disait-il à propos de ce projet ambitieux. Ce jardin est une des pierres angulaires de son héritage scientifique.
L'engagement intellectuel et nationaliste
Au-delà de la science, Marie-Victorin voyait dans l'éducation et la recherche des outils d'émancipation pour les Canadiens français, fidèle à son héritage breton et canadien-français. Son influence, bien qu’ancrée dans la botanique, a rayonné dans la vulgarisation scientifique et la promotion de la langue française dans les sciences. Son nationalisme, forgé par son histoire familiale, l'a toujours poussé à défendre la francophonie et à s'opposer à l'influence anglophone croissante au Québec.
Quel avenir pour son héritage ?
Le frère Marie-Victorin reste une figure emblématique de la science québécoise et de la Francophonie. Aujourd'hui, comment assurer la pérennité de son œuvre et l'éveil scientifique des jeunes générations ? La science québécoise est-elle suffisamment soutenue pour honorer cet héritage ? Et plus encore, comment garantir que l'idéal de la francophonie scientifique, défendu par l'Acfas, se maintienne dans un monde où l'anglais domine la recherche ?