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Choc culturel inversé : “seuls ceux qui sont partis peuvent comprendre”

S’expatrier n’est pas toujours définitif et irrévocable. Parfois, des opportunités se présentent, et le retour en France s’impose. Muriel et Raphaëlle sont mères de famille et ont suivi leur mari à l’étranger pendant plusieurs années. A l’été 2024, les deux familles ont quitté, respectivement, le Ghana et Singapour, avec leur mari et leurs enfants pour s’installer à Montpellier. Chacune a vécu le retour différemment. Ce qu’elles ont vécu s’appelle le choc culturel inversé. D’après Satinka Sansón, fondatrice de FeelBetter, les caractéristiques sont similaires à un deuil. Récits.

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Écrit par Léa Degay
Publié le 19 février 2025, mis à jour le 21 février 2025

 

Muriel, son mari et leurs quatre enfants ont passé cinq années au Ghana avant de rentrer en France, il y a six mois. Un retour que la famille n’avait pas choisi, et qui s'est avéré plus difficile que prévu. "Nous serions bien rentrés en France un peu plus tard", confie Muriel. L'opportunité de poursuivre l'expatriation dans un autre pays ne s'étant pas présentée dans les conditions souhaitées, la famille s’est installée à Montpellier. 

 

choc culturel inversé

 

A l’inverse, Raphaëlle et sa famille n’étaient pas à leur première expatriation. Après avoir vécu cinq ans en Russie, trois ans en Pologne et un premier retour en France, ils sont repartis à Singapour pour deux ans avant de rentrer à l’été 2024. Ce retour à la vie française, loin d'être une épreuve, s'est avéré une transition fluide et réfléchie.

 

Chaque retour d’expatriation est unique et propre à chacun

Deux retours d’expatriation, deux expériences différentes. La raison est simple : chaque expatriation est unique. “Tout dépend des motivations du départ et du retour. Certains expatriés reviennent convaincus d'avoir fait le bon choix, mais se heurtent à une réalité désillusionnante. D'autres ont quitté leur pays d'expatriation à contre-cœur et ressentent un manque profond. Souvent, le retour a été organisé de manière logistique (logement, école, travail) sans préparer l'impact émotionnel, ce qui renforce le choc”, explique Satinka Sanson, fondatrice de FeelBetter

C’est exactement ce qu’il s’est passé pour Muriel et sa famille. D'un point de vue administratif, tout a été soigneusement anticipé. Mais l'aspect psychologique a été largement sous-estimé. "Nous savions que ce serait dur. D’autres familles expatriées nous avaient averti, ils nous disaient : le premier retour est plus difficile à vivre. Mais nous n’aurions pas imaginé à ce point. Il nous aurait fallu plus de retours d'expérience détaillés pour s'y préparer." 

 

accra au ghana

 

D’ailleurs, le retour a été vécu très différemment selon les membres de la famille. Leur aîné, entré en collège, a rapidement trouvé ses marques, gagnant en autonomie. Mais pour les trois plus jeunes, la transition s'est révélée plus compliquée. "Ils regrettent vraiment de ne plus être au Ghana. Ils y ont vécu toute leur vie, et n'avaient presque aucun souvenir de la France en dehors des vacances." L'un des aspects les plus difficiles du retour en France a été la sensation de perte de liberté. "Au Ghana, tout était plus simple. Ici, tout est régi par des règles. Nos enfants le vivent très mal."

 

Qu’est-ce qu’un choc culturel ?
Il s’agit de la difficulté d'adaptation à un pays étranger. Mais le retour dans son pays d'origine peut être tout aussi déstabilisant. Ce phénomène, appelé choc culturel inversé, touche de nombreux expatriés qui, après des années passées à l'étranger, ressentent un profond sentiment de décalage en rentrant "chez eux"

 

L’expatriation comme une parenthèse pour Raphaëlle et sa famille

Dès le départ pour Singapour, Raphaëlle et son mari savaient qu'ils ne resteraient pas longtemps. Ils envisageaient trois ans, mais une opportunité professionnelle s'est présentée pour son mari au bout de deux ans, rendant la décision de rentrer en France évidente. "Nous savions que le retour n'est pas toujours simple et que les gens ne sont pas forcément heureux dans leur emploi après une expatriation. Nous étions déjà rentrés d’expatriation quelques années plus tôt. Alors quand mon mari a trouvé quelque chose qui cochait toutes les cases, nous avons foncé." En rentrant à l’été 2024, la famille choisit de poser ses valises à Montpellier. Une ville inconnue pour eux, mais qui les enthousiasmait par sa qualité de vie et son climat.

 

singapour

 

L’incompréhension des proches et le fossé culturel

Un autre phénomène qui accentue le choc culturel inversé est l’incompréhension de l’extérieur. En revenant, Muriel et son mari ont été frappés par le manque d'intérêt de leur entourage pour leur vie à l'étranger : "Nos amis ne nous ont posé aucune question sur nos années passées au Ghana ni même sur notre retour en France”

Sans le vouloir ni s’en rendre compte, l’entourage amical de Raphaëlle n’est composé majoritairement d’anciens expatriés : “Nous nous comprenons et pouvons discuter plus librement de ce que nous traversons”

 

“Seules les personnes ayant vécu une expatriation comprennent vraiment ce que nous traversions."

 

Se sentir en décalage avec ses proches, avoir l'impression d'être un étranger dans son propre pays, ces ressentis peuvent entraîner une déstabilisation identitaire. Les expatriés revenus éprouvent parfois de la honte à parler de leur mal-être, se renferment et peuvent voir leurs relations se dégrader. Un entourage qui ne comprend pas ce qu'ils vivent renforce cet isolement.

 

montpellier

 

Malgré ces difficultés, la famille de Muriel commence peu à peu à trouver ses marques en France. Mais leur expérience illustre à quel point le retour d'expatriation peut être un véritable défi, tant sur le plan émotionnel que social. Et Raphaëlle le reconnaît : “J'avais déjà connu un premier retour d'expatriation, donc je savais ce qu'il fallait éviter. Cela m’a aidé à ne pas commettre les mêmes erreurs. Si notre retour s'est passé en douceur, c'est en grande partie grâce à une préparation intensive”

 

Selon Satinka Sanson, le choc culturel inversé se manifeste souvent par des émotions comparables à celles du deuil. En premier le déni et la déception, l'expatrié n'a pas anticipé que son pays natal et ses proches aient changé en son absence. Ensuite, la comparaison constante, l'expatrié oscille entre son pays d'avant et son pays actuel, sans parvenir à trouver sa place. Enfin, la dépression, la colère et la frustration, ce décalage génère une sensation d'étrangeté et un manque de repères, avec des répercussions sur le bien-être mental. 

 

Comme pour tout, il faut un temps de (ré)adaptation : “Il faut compter au minimum six mois après le retour, pour commencer à se sentir à sa place”. La fondatrice de Feelbetter rassure cependant les fraîchement rentrés en France : “chacun est différent, il n’y a pas de date de prescription et cela peut durer plus ou moins longtemps”. Néanmoins, si ces symptômes persistent, un accompagnement psychologique peut s'avérer nécessaire pour éviter un mal-être profond. 

Et Raphaëlle de conclure : lorsque vous décidez de rentrer en France, “il faut y aller à fond, activer les contacts, rejoindre les groupes Facebook et WhatsApp adaptés, et prévoir tout en amont”.