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Handilol : le voyage sans handicap !

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Écrit par Déborah Collet
Publié le 1 mars 2020, mis à jour le 18 février 2021

Rudy et Julien sont deux frères lyonnais qui ont créé un guide touristique en ligne "Handilol". Passionnés de voyages depuis de nombreuses années, ils découvrent de nouvelles villes et évaluent chaque destination pour les personnes à mobilité réduite.

 

Comment vous est venue l’idée de créer un guide touristique "Handilol" à destination des personnes à mobilité réduite (PMR) ?

Rudy : Depuis ma naissance, je suis atteint de la myopathie de Becker, une maladie dégénérative des muscles. Cette maladie neuromusculaire touche principalement les muscles inférieurs, mais aussi les muscles des bras qui se fatiguent au fil des années. Jusqu’à mes 19 ans, je marchais normalement, puis, j’ai perdu l’usage de mes jambes. Après avoir obtenu un BTS, j’ai décidé de me consacrer au voyage. En décembre 2011, je réalisais mon premier voyage à l’étranger avec mon frère Julien. On pourrait penser que Venise n’est pas une destination facile d’accès pour les personnes en fauteuil roulant. Différents ponts et canaux sont présents dans la ville. Pourtant, en nous informant à l’aide d’un guide touristique sur Venise, nous avons vu qu’il était plutôt facile de se déplacer, notamment grâce au vaporetto (bateau bus local). Nous étions deux frères qui voyageaient par passion et nous avons voulu partager cette expérience pour tous. Après le succès du premier voyage, nous avons décidé en 2012, de partir en Espagne à Barcelone. C’est au retour de ce voyage que nous avons créé le guide touristique "Handilol". Nous nous sommes dit qu’il y avait un manque d’informations et de vraies attentes des PMR, personnes à mobilité réduite face à l’accessibilité des villes dans chaque pays.

 

Julien : Jusqu’à ce premier voyage, nous faisions surtout des voyages en France, dans le sud par exemple chez de la famille ou à Paris. Nous faisions des vidéos lipdub où nous nous amusions, puis, nous nous sommes dit qu’il fallait qu’on partage nos expériences, en direct grâce au Facebook Live. Aujourd’hui, Handilol s’est professionnalisé. Nous faisons un vrai travail de blogueur. Notre but est de devenir un guide de voyage de référence à destination des PMR pour les aider à organiser elles-mêmes et sereinement leurs séjours, grâce à des informations fiables et de qualité. Nous partageons aussi de nombreux bons plans pour voyager moins cher, car les prix pratiqués par les agences de voyage sont souvent très élevés. On essaye de développer des partenariats avec des hébergeurs ayant une offre parfaitement adaptée PMR et d’obtenir ainsi des réductions sur le coût du logement pour nos lecteurs.

Handicap Voyage

Vous avez créé des guides de voyage par pays pour les PMR, "personnes à mobilité réduite". Que contiennent-ils ?

Rudy : Dans les guides de voyage, il y a toutes les informations précises et détaillées pour organiser au mieux son séjour. Nous étudions la chaîne de déplacement pour vérifier qu’elle n’est pas rompue à un moment donné et qu’il est possible de se rendre d’un point A à un point B sans rencontrer de problèmes. Nous analysons l’accessibilité pour les PMR et notons à l’aide d’un code couleur (vert, orange et rouge) la voirie, l’accessibilité des commerces, des transports en commun, des toilettes... Nous étudions la topologie des villes, par exemple, s’il n’y a pas trop de collines comme à Rome ou à Lisbonne. Nous prêtons également attention à la voirie en nous posant des questions telles que : Les revêtements des sols sont- ils adaptés pour rouler en fauteuil roulant ? Est-ce que les trottoirs sont bien abaissés pour traverser au passage piéton ?

 

Vous faites un classement des villes les plus accessibles pour les PMR. Quelle destination met en place le plus d’infrastructures pour améliorer l’accessibilité dans tous les domaines confondus ?

Rudy : La ville de Barcelone est une référence en tant que ville accessible pour les PMR. Nous n’avons pas visité toute l’Espagne, mais c’est un pays qui semble au top au niveau accessibilité, comme dans les villes de Bilbao et Saint-Sébastien que nous avons beaucoup appréciées. Il y a des rampes à tous les trottoirs. Je me souviens des bus qui comprenaient chacun deux emplacements pour les personnes en fauteuil roulant avec une signalétique renforcée. Lorsqu’on demande l’arrêt avec le bouton de demande qui est abaissé, un signal lumineux et sonore indique à tous les passagers du bus que la rampe PMR a été demandée et qu’elle va être déployée au prochain arrêt. Au moment de son déploiement, toutes les portes sont bloquées une dizaine de secondes. En France, les passagers ne comprennent pas pourquoi les portes ne s’ouvrent pas, ils crient au chauffeur de faire le nécessaire et ils s’affolent, car ils sont pressés et croient qu’ils ne vont pas pouvoir sortir du bus ! Si comme à Barcelone un message visuel et sonore leur expliquait que la rampe PMR a été demandée, ils agiraient sûrement de manière plus décontractée.

 

En 2017, nous avons eu la chance de nous rendre à New York, une ville exemplaire également en termes d’accessibilité pour les PMR. Je pense notamment aux WC adaptés dans les boutiques. C’est un réel souci pour nous, lors de nos voyages, de trouver des toilettes adaptées. Enfin, on parle beaucoup des infrastructures, mais il y a aussi le regard des autres sur le handicap qui change selon les pays. À New York ou en Espagne par exemple, les personnes dans la rue ne nous dévisagent pas et ne s’apitoient pas sur notre sort. Là-bas, tout le monde vous aide de façon spontanée. Le regard des autres est un problème sociétal, culturel et les mentalités doivent évoluer surtout en France.

 

Julien : On a eu beaucoup de retours positifs sur la ville de Séville et celle de Madrid. L’Espagne est avancée en termes d’accessibilité pour les handicaps. La raison est qu’en 1992, il y avait les Jeux olympiques. ONCE Organización Nacional de Ciegos Españoles (en français Organisation nationale des aveugles espagnols), une grande association espagnole avec un très fort lobbying a fait pression sur les acteurs de la ville pour l’accessibilité dans plusieurs domaines. Sous cette impulsion, la ville haute des Jeux olympiques notamment a complètement été adaptée.

 

Quand nous organisons un voyage, la première chose qu’on fait, c’est de se rendre sur le site de l’Office de tourisme de la ville et de voir ce qu’elle propose. S’il y a une rubrique "tourisme et handicap" et qu’en plus elle est bien complète, vous pouvez deviner que la ville se préoccupe des questions d’accessibilité.

Voyage Handicap New-York

Quelles destinations ne sont pas du tout accessibles ?

Rudy : Nous avons eu beaucoup de problèmes lors de notre voyage à Lisbonne. Il n’est pas facile de se rendre au château Saint-Georges en haut de la ville en raison de la voirie et de la topologie particulière de la ville. Pour une personne en fauteuil manuel c’est très compliqué de se déplacer, à moins d’avoir un fauteuil électrique. De plus, l’accessibilité des transports en commun laisse à désirer. Il nous est arrivé de laisser passer trois bus avant d’en avoir un avec une rampe d’accès qui fonctionne ! Dans le métro, un écart subsiste entre le quai et la rame, ce qui ne me permet pas de monter à bord.

 

Julien : À Bruxelles, la situation est également très compliquée pour les personnes qui veulent visiter la ville en fauteuil roulant. La STIB, l’équivalent de la RATP en France annonce par exemple que le métro est bien accessible mais c’est faux. Il y a des ascenseurs dans presque toutes les stations mais il y a une grande différence de hauteur entre le quai et la rame qui empêchent de monter. Côté voirie, il y a beaucoup de pavés dans le centre et les trottoirs ne sont pas toujours abaissés, y compris dans le quartier moderne contemporain. La majorité des commerces ont une marche devant leurs boutiques. Enfin, on a eu beaucoup de problèmes pour trouver un logement adapté sur place. 

 

Est-ce que toutes les villes de France sont adaptées pour les PMR ?

Julien : Nous avons visité plusieurs grandes villes de France et nous avons la chance d’habiter dans une ville très accessible pour les PMR, Lyon. Elle fait partie des villes les mieux classées dans notre "Handilomètre", le baromètre du tourisme accessible en fauteuil roulant que nous avons créé. Montpellier, Bordeaux et Toulouse sont des villes plutôt très accessibles. Il y a un détail qui ne trompe pas dans une ville, c’est quand on voit qu’il y a beaucoup de personnes en fauteuil roulant dans les rues. C’était le cas à Montpellier. C’est une ville relativement plate et le tramway permet de se déplacer facilement. 

 

En France, nous estimons qu’un commerce sur deux est accessible dans les grandes villes, ce qui est trop peu. S’il est vrai que la réglementation oblige les ERP (établissements recevant du public) à se rendre accessibles, il est également possible d’obtenir des dérogations, notamment quand l’ERP se trouve dans un bâtiment ayant un caractère historique. Malheureusement, une fois que les commerçants obtiennent ces dérogations, ils ne pensent pas plus loin. Nous ne leur demandons pas de casser la marche à l’entrée de leur commerce ! En revanche, ils pourraient acheter une petite rampe amovible (il en existe à 50 €) et signaler qu’ils en ont une en mettant un autocollant sur leur vitrine. Les petits commerces peuvent même se la prêter entre eux. À Annecy par exemple, il y a une grande artère commerçante dans le centre historique où la plupart des commerces ont une marche à l’entrée et pas de rampe. C’est quelque chose que nous constatons régulièrement en France et il faut donc que les mentalités changent.

 

Rudy : Autre ville difficile d’accès pour les PMR, c’est Marseille. Autour du Veux Port, les rues sont en pente et nous avons rencontré des difficultés pour nous déplacer avec les bus. Une fois, un chauffeur a osé nous dire d’un ton peu aimable : "Je ne sors pas la rampe sinon le bus tombe en panne", nous laissant comme deux abrutis sur le trottoir !

Voyage Handicap Annecy

Lors d’une interview, vous avez déclaré : « Accessible ne veut pas dire adapté ». Quelle est la nuance ?

Julien : Quand nous disons cette phrase "Accessible ne veut pas dire adapté", c’est surtout par rapport à l’hébergement. Lorsque nous organisons nos voyages, notre principale difficulté est de trouver un logement accessible et adapté. Chacun a sa propre définition de l’accessibilité. Sur les plateformes de réservation en ligne bien connues, les filtres accessibilité ne sont pas très fiables. Pour les hébergeurs, c’est très rare qu’ils soient formés sur le handicap et les besoins qui en découlent. Pour la plupart, accessible signifie par exemple que l’hôtel a une entrée de plain-pied dans la rue, un ascenseur pour aller jusqu’à la chambre mais pas forcément suffisamment d’espace pour circuler autour du lit ou une douche italienne avec un siège de douche ou une chaise médicale. Pour Rudy qui ne tient pas debout, il est impossible de se laver dans une baignoire ou dans une douche italienne sans chaise médicale. Parfois, le lavabo n’a même pas de vide inférieur pour pouvoir faire passer les pieds du fauteuil. Autres problèmes que nous rencontrons fréquemment : le pommeau de douche placé trop haut, tout comme le miroir au-dessus du lavabo ce qui ne permet pas aux personnes en fauteuil de se voir dedans ! Ce sont des détails qui ont leur importance et auxquels les professionnels du logement ne pensent pas.

 

Dans ce cas précis, est-ce qu’ils mettent en place des solutions pour que le reste de votre séjour se passe bien ?

Julien : Malheureusement non... On nous répond souvent : "Nous avons déjà eu des clients en fauteuil roulant et tout s’est bien passé. Vous êtes les premiers à nous dire cela !". Ce manque de réactivité nous a poussés à nous professionnaliser pour avoir plus de poids. Depuis 2015, nous avons suivi plusieurs formations à la Réglementation Accessibilité Handicap pour montrer que l’on savait de quoi nous parlions. Je suis également évaluateur pour la marque d’Etat "Tourisme et Handicap" en région Auvergne Rhône Alpes. Nous avons donné le statut d’association à Handilol et nous faisons notamment partie des commissions d’accessibilité de la ville de Lyon et de la métropole de Lyon. Nous participons à des groupes de travail sur la voirie, les projets urbains, les transports en commun, les logements. Au fil des années, nous avons acquis de l’expérience et une réelle expertise dans l’accessibilité aux infrastructures pour les personnes en situation de handicap, pas seulement concernées par une déficience motrice. Il y a des normes, on les connaît et les professionnels nous écoutent plus qu’avant. De plus, nous couplons nos connaissances au confort d’usage, étant directement concernés. Cela nous permet de proposer des solutions qui vont au-delà des normes, ces dernières n’ayant pas tout le temps réponse à tout. Si les acteurs du handicap pouvaient suivre ces formations, ça serait bien car ils répondraient mieux aux besoins spécifiques des personnes concernées. 

Voyage Handicap Berlin

Vous revenez tout juste du Maroc. Est-ce un pays accessible pour les PMR ?

Julien : Nous avons été agréablement surpris, c’est un de nos plus beaux voyages même s’il y a encore des points à revoir, comme la voirie (trottoirs non abaissés, pas de feux de signalisation à certains carrefours…). Nous avons trouvé des maisons d’hôtes parfaitement adaptées à Marrakech et à Essaouira, dont certaines qui ont été créées par des expatriés français. Cela permet de recréer un rituel de confort pour les PMR sur leur lieu de séjour avec notamment du matériel médical déjà présent sur place comme la chaise de douche ou le lève-personne. Au-delà de leur hébergement, ces maisons d’hôtes ont également réfléchi à rendre accessibles à tous les activités de loisirs. C’est comme ça que nous nous sommes retrouvés à faire une superbe excursion en 4x4 adapté dans le désert de Marrakech, avec des sensations dignes des montagnes russes ! (voir vidéo ci-dessous). Malgré quelques problèmes d’accessibilité, nous avons été très touchés par le côté humain des Marocains qui accouraient toujours pour nous aider. 

À présent, nous préparons notre retour à Lisbonne prévu à la mi-mars. C’est la ville la moins bien classée de notre Handilomètre depuis notre premier séjour là-bas en 2014. Nous avons hâte de voir si des progrès ont été faits pour rendre la ville plus accessible aux PMR !

Un dernier mot à ajouter ?

Rudy : Handilol est une association et nous faisons tout avec nos petits moyens depuis le début. Aussi, nous avons besoin de soutien financier pour poursuivre l’aventure et donner toujours plus d’informations gratuitement sur notre blog et les réseaux sociaux. Nous sommes notamment à la recherche d’entreprises pour nous sponsoriser. Un grand merci par avance de nous aider à promouvoir toujours plus le tourisme accessible PMR, car vous l’avez compris, il y a un réel besoin !

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